Accusé de pédophilie, Jonathan vient d’être libéré, « faute de preuves ». Moi, le soupçon me suffit à le condamner. Plutôt que de crier mon dégoût et ma haine, j’ai tenté de réfléchir à la façon dont Inge Schiperoord choisit d’aborder le sujet.
Le décor est planté dans une petite ville de banlieue. L’ambiance est moite, poisseuse ; la saison est chaude. Lors d’une de ses balades dans la nature, Jonathan recueille un poisson blessé et le rapporte chez lui. Une tanche. Il déverse son trop-plein d’affection sur l’animal et l’investit d’une mission : être son poisson-médecin. Son livre de chevet sur la faune et la flore lui a appris que les tanches posséderaient un pouvoir de guérison.
La fragilité et la notion de discernement du personnage ne sont pas celles d’un individu que je qualifierais de « normal ». Est-ce suffisant pour justifier ses déviances ? Et que penser lorsque l’animal dépérit ? Jonathan a-t-il réussi à le lier à lui? L’allégorie est dérangeante, très bien pensée.
Le récit est lent. Pas long, lent. Tout, dans le style, le rythme, le vocabulaire, contribue à installer le malaise. Jonathan décrit tous ses faits et gestes, les note scrupuleusement dans un carnet. « Je fais tout ce que j’ai envie de faire en respectant toutes les normes de la bienséance. […] Je maintiens l’ordre dans mon environnement. ». Y a-t-il encore un ordre dans cet environnement ? Le savoir-vivre n’est-il pas tristement dérisoire ?
Il se répète comme un mantra : « Ce qui est mauvais, ce n’est pas la personne qui a commis les actes mais ce sont les actes qui transgressent les limites. ». Est-il capable d’apprendre à maîtriser ses actes? Peut-il vraiment penser que «c’est terminé » ? A-t-il droit à la rédemption? Dois-je me poser cette question?
La tanche est un roman fort. Difficile, violent, avec une fin surprenante, je l’ai lue deux fois. Il est écrit avec une délicatesse indéniable, les mots sont pesés, le point de vue osé, mais je ne l’ai pas ressenti comme une provocation (j’aurais eu tôt fait de le reposer). Je ne peux pas vous le conseiller, ni vous dire de le laisser de côté. Je pense en avoir suffisamment dit pour que vous puissiez vous en faire une idée.