Roman d'espionnage, classique, un peu à la Le Carré, mais pas tout à fait quand même. Il s'agit en fait d'un bouquin écrit par un russe. Un russe de l'URSS. Un soviétique, quoi pour ceux qui n'auraient pas compris. Semenov est présenté, sur la quatrième de couverture, comme étant immensément populaire en russie et méconnu en Europe occidentale. Force est d'ailleurs de constater que les écrivains russes de la seconde moitié du vingtième siècle reconnus en Europe occidentale sont essentiellement des dissidents, allez savoir pourquoi...les autres ont probablement été considérés comme étant totalement dépourvus de talent littéraire.
Alors certes, cette taupe rouge n'est pas un chef d’œuvre absolu, mais il faut bien reconnaitre que ça tient tout de même la route. L'intrigue est complexe et tortueuse à souhait et va sur un tempo qui s'accélère au fil des pages, pour un dénouement assez sobre, qui, donc, évite d'en faire des tonnes. Ce qui est amusant, c'est ce renversement des valeurs par rapport à ce à quoi le lecteur français (ou anglais ou étasunien) est habitué. Le héros, le gars qui a des qualités humaines (même si c'est un espion, donc ce n'est pas non plus une oie blanche), qui se questionne, c'est un russe. Cela étant, il faut dire que le camp adverse, ce sont les nazis, qui généralement ne sont pas à la peine lorsqu'il s'agit de mettre en valeur ceux qui les combattent. Pour autant, ce bouquin ne s'apparente en aucune façon à de la propagande soviétique grossière telle que l'occidental de base pourrait la concevoir. En la matière, c'est même bien plus soft que ce qu'on peut lire dans nos journaux à grande diffusion en ce moment...
Donc, n'ayez crainte, vous ne rencontrerez pas en lisant ce bouquin de héros ouvrier, de paradis socialiste ou d'homme soviétique accompli. Ce qui ne suffit pas en soi à faire un bon bouquin. Ce qui par contre y contribue ici, c'est cette description de Berlin au premier trimestre 1945, dans une ambiance apocalyptique de fin de règne fort bien rendue. Les rats quittent le navire et on saisit bien la fameuse banalité du mal: les dignitaires nazis (ça se passe dans les hautes sphères et Himmler, Goëring et Muller pour ne citer qu'eux sont mis en scène) sont dépeints comme des politiciens finalement assez ordinaires, en guerre les uns contre les autres, mais s'adonnant à qui mieux mieux au culte du chef.
Les occidentaux sont finalement assez peu présents, si ce n'est qu'ils interviennent pour essayer de négocier une paix séparée avec l'Allemagne, dans la perspective de faire barrage au communisme: attention, c'est tout de même un bouquin soviétique ! Mais je ne jurerais pas que cela ne repose pas sur des faits historiques établis. Bon pour rester impartial, il est vrai que l'Ouest comme l'Est ont recyclé de nombreux ex-nazis durant les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale.
En tout état de cause, une lecture plutôt agréable, quoiqu'il faille se fader au début l'organigramme complet du Reich, pour (essayer de) comprendre qui est qui et qui veut quoi. Originale, sans aucun doute, car produit d'un auteur qui n'avait jamais été traduit en français. A rééditer, sans doute : la série Maxime Issaiev (le maître espion du KGB), dont est tirée ce bouquin, comporte quatorze titres et s'étale sur une période allant des années vingt au années soixante. Et il me semble d'ailleurs avoir récemment aperçu en rayon un second opus de la série...