Les quatre premières nouvelles de ce recueil sont magistrales et m'ont plongé dans un extase de conjonctures philosophiques !
Ted Chiang tire le fil d'hypothèses et découvertes scientifiques avec une grande maîtrise de ses sujets et c'est extrêmement satisfaisant intellectuellement de se laisser guider à travers la fiction. L'impression que le monde se dilate au delà des bords qu'on lui connait, que la réalité croît dans la fusion de champs de connaissance normalement enclavés.
La mythologie rencontre la cosmologie (Tour de Babel), la cognition et le rapport au monde côtoient la psychologie (Comprends), les sciences du langages fusionnent avec la physique du Temps et l'"Umwelt" (L'Histoire de ta Vie), l'arithmétique avec la métaphysique (Division par zéro) ... Chiang trouve autant de possibilités littéraires dans les matières souveraines comme les mathématiques, la physique, la théologie, les neurosciences... Le syncrétisme de ses nouvelles m'exalte, parce que j'ai l'impression de mieux comprendre le réel. En tout cas de m'en émerveiller sous un nouveau jour !
L'Histoire de ta Vie notamment, m'a fait une énorme impression : c'est celle que je craignais le plus, car j'ai vu comme beaucoup Premier Contact, et avait peur de la redite. La nouvelle déploie des réflexions qu'on ne retrouve pas dans le film, mais avec une justesse de la démonstration qui m'a sidéré. Les deux se complètent admirablement, en prenant parfois des voies opposées.
J'ai été un peu plus ennuyée par la suite des nouvelles, qui m'ont semblé moins maitrisées ou plus "paresseuses". Mais je sais que c'est un déception relative aux chefs d'œuvre que j'ai lus avant :
Soixante-Douze lettres, un conte gothique et kabbaliste, qui empreinte à la légende du golem, part dans tous les sens et la fusion magie/biologie m'a semblé peu convaincante. L'Evolution de la science humaine est anecdotique (3 pages). L'Enfer, quand Dieu n'est pas présent est intriguant (les Anges apparaissent régulièrement aux hommes, et aléatoirement, provoquent le le pire comme le meilleur pour eux) mais la chute est sans importance. Le recueil se termine par Aimer ce que l'on voit, une nouvelle qui n'a pas pris une ride (lol) : on y découvre un dispositif médical qui permet aux gens de ne pas être sensible à la beauté ou à la laideur d'un visage. Les avis divergents s'opposent et à chacun de se faire une opinion sur ce dispositif un brin fasciste mais ô combien reposant...
Aucune nouvelle ne se ressemble, et cette variété conduit fatalement à des disparités d'appréciation, suivant les appétences de chacun. En matière de "food for thoughts", Ted Chiang est un virtuose qui m'a transporté dans des réflexions incroyablement subtiles. Juste pour ça, chapeau bas.