Paris, 2058.


Le monde a joué à pile ou face, et désormais, la vie se déroule sur le Réseau, émanation de l'internet actuel dont se sont emparé (et l'idée déjà est intéressante quand t'y réfléchis) les gouvernements de la plupart des pays du monde (le tiers monde reste à la masse, c'est intéressant aussi quand t'y réfléchis) avec un seul mot d'ordre, supposé mettre fins aux maux de la société telle qu'on la connait: la transparence.


Transparence...


Déjà, on comprend qu'en terme d'anticipation, on est plus dans une extrapolation du réel que dans la vision d'un univers parallèle, ce qui donne au demeurant tout son piquant à l'objet.


En bref, l'idée c'est que désormais, toutes les informations portant sur chaque individu (état civil, emploi, compte bancaire, santé, activités, mode de consommation etc...) sont publiées, et accessibles sur le Réseau.


Chacun doit, a minima, actualiser ses données de bases et sa photo de profil, une fois par an.


Le principe du revenu universel a été instauré, de sorte que les inégalités liées à l'argent ont disparu. Est-ce pour autant la fin des inégalités? Pas vraiment.


Les enjeux portent désormais sur l'influence, le pouvoir sur le Réseau: engendrer des pouces en l'air, de la reconnaissance, de l'admiration.


Le concept psycho-sociologique de désirabilité sociale fait norme.


Camille Lavigne s'active sur le Réseau pour conforter le statut et la position de l'essayiste Irina Loubovksi, gardienne autoproclamée du penser-bien qui n'hésite pas, si un plan présente des accrocs, à démolir qui voudrait la contredire.


Irina, c'est pas quelqu'un de sympa. Mais elle détient une forme de pouvoir fascinant. Camille sent bien que parfois, tout va beaucoup trop loin, mais Camille désire plus que tout la reconnaissance d'Irina, seule susceptible de lui permettre d'atteindre les sommets du Réseau.


Alors Camille ferme les yeux et, pour retrouver son souffle, se fond dans l'anonymat sous la fausse identité de Dyna Rogne.


Car cette société qui n'a plus rien à cacher tolère une part de mystère: on les appelle les nonymes, il se retrouvent dans la "vraie vie" (enfin du moins ce qu'on appelle la vraie vie aujourd'hui) et masquent alors leur identité réelle pour redécouvrir les joies de l'apprentissage de l'autre.


Camille trouve un équilibre, un peu instable, entre ses deux identités, jusqu'au jour où Camille se fait agresser, à l'ancienne: dans les toilettes d'un bar, événement qui va l'amener à s'interroger sur son identité au delà du Réseau, au delà des nonymes et revenir la question que se pose l'humanité depuis qu'elle est humanité: peut-on jamais connaitre son prochain?


Je vous vois venir, mais je vous arrête tout de suite, La transparence selon Irina n'est pas une dystopie, et c'est d'ailleurs ce qui fait la force du roman.


Parce que ce monde de 2058, s'il a changé du tout au tout dans sa manière de fonctionner, d'appréhender les hommes, la nature..., n'a rien d'une dictature ou d'un univers plus oppressant que le nôtre.


Si le monde décrit par Benjamin Fogel inquiète, c'est uniquement parce qu'il est le miroir de la société actuelle.


Tout le talent de l'auteur réside précisément dans la manière dont il a envisagé un avenir totalement différent, mais qui n'est ni meilleur, ni moins bon que le présent.


Ce que les humains ont perdu en liberté avec la transparence, ils l'ont retrouvé sous une autre forme, une peu comme dans les lampes à lave la cire varie en forme, en taille, en nombre, mais jamais en quantité.


Benjamin Fogel décrit avec une infinie précision le basculement des zones de conflit, des enjeux de pouvoir.


Il créé ainsi un univers ultra crédible dont le réalisme permet de se concentrer sur ce qui est finalement le véritable enjeu du roman: l'être humain, sa nature profonde, sa quête d'identité et son rapport à l'autre.


Publié chez Rivages noir, La transparence selon Irina n'est pas vraiment un polar, mais il est définitivement à lire pour la pertinence de son propos, sa vision optimiste, finalement (oui, je le dis) de l'avenir de l'humanité et la multitude de questions (intelligentes en plus) qu'il engendre.


(Fun fact: le personnage principal de Camille est caractérisé par son androgynie. J'ai cherché, mais je n'ai pas trouvé d'erreur de la part de l'auteur qui réussit donc la prouesse de ne jamais genrer son personnage principal en 272 pages. Perso j'ai essayé sur ce petit article, et j'ai déjà trouvé ça hyper pénible, alors bravo Benjamin!)

Chatlala
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le 19 avr. 2019

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