Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué : nouvel exemple ! Le finlandais Pajtim Statovci livre dans La traversée un roman sur les thèmes de la quête identitaire et de la recherche d'un endroit où se sentir chez soi qui brouille les cartes et entretient une certaine confusion. Bujar, son héros adolescent, a quitté l'Albanie du début des années 90, en compagnie d'un ami, et va se retrouver en Italie, pour commencer. Et plus tard à Madrid, à Berlin, à New York et à Helsinki, au gré de chapitres où l'on doute souvent du narrateur, qui n'est pas nécessairement toujours Bujar mais peut-être son compagnon de route. Le récit ne manque pas d'intérêt, notamment quand il évoque l'Albanie de l'après Hoxha et les mythes très virils qui contribuent à la fierté du pays. Chaque chapitre, pris isolément, a du caractère et témoigne d'une grande lucidité vis-à-vis du statut de migrant mais l'ensemble est volontairement insaisissable, à l'image de Bujar (ou son camarade) qui entretient l'ambigüité sur son sexe et ment copieusement à ceux qu'il rencontre, n'avouant jamais qu'il vient du "pays des aigles." Il n'y a pas de leçons à donner à l'auteur, manifestement doué, qui ne raconte pas ici sa propre histoire (il est arrivé en Finlande à l'âge de 2 ans) mais simplifier et domestiquer ses récits ne nuirait sans doute pas à la qualité de son œuvre. Ceci dit, son audace narrative et sa force d'évocation restent des évidences.