Je ne sais plus quoi dire pour rendre hommage au génie littéraire de Colette. Certainement que tout a été écrit sur sa prose ciselée et sa biographie complexe. Ce qui ne cesse de m'étonner, moi, c'est l'acuité de ses perceptions. Comment cette nana, apparemment équipée comme tout le monde, parvenait-elle à saisir autant d'informations dans son environnement et a établir autant de connexions fertiles entre elles à chaque fois qu'elle empoignait une plume ("double et ployante", si c'est pas énervant cette adjectivation spectaculaire et pointue...)? A fréquenter ses écrits, on se prend à tourbillonner entre des sensations apparemment sans relation mais dont le rapprochement crée comme une troisième dimension et donnent un parfum à l'écriture, ou une couleur aux sons, ou un rythme aux pigments... Bref, on assiste là à un tour de prestidigitation quasiment miraculeux et l'illusion littéraire se pare d'une épaisseur charnelle inédite. Pour moi, en tout cas, qui n'ai pas tout lu; il se peut que d'autres écrivains manient la synesthésie avec autant de maestria, mais Colette est au sommet de mon Panthéon en la matière, peut-être aussi parce qu'elle est Bourguignonne, et anime des paysages qui me sont chers également, c'est possible. Mais quand elle m'entraîne dans l'intimité du music-hall, auquel je ne connais rien, je la suis avec tout autant d'avidité. Ou bien quand elle me présente des demi-mondaines, que je découvre par ses yeux. Ce regard (de renard, dirait-elle), qui se substitue au mien, me fait l'effet d'un instrument de haute-technologie qui remplacerait mon vieil électroménager dépassé. D'un coup, je vois clair, j'entends et je sens avec plus d'acuité...plus la peine de chercher la réalité augmentée du côté de la Silicon Valley, elle est là, poétique et chaleureuse, entre ces pages si accueillantes et riches qu'on aimerait que le récit ne s'arrête jamais.