Eugène Meiltz, plus connu sous son prénom a eu une vie assez intéressante. Parolier et danseur pour le groupe Sakaryn, chroniqueur pour la presse, nouvelliste mais aussi romancier, recevant quelques prix. Né à Budapest en 1969, il est arrivé en Suisse avec ses parents en 1975, et ne l’a plus jamais vraiment quitté. Sa famille a fui la dictature de Ceaucescu, ce sont des réfugiés politiques. Eugène a subi le handicap d’une maladie lourde, la polyarthrite juvénile à tendance récidivante, de même que des problèmes de bégaiements.
Ce n’est évidemment pas le parcours le plus banal qui soit, il y a de la matière pour en construire un livre, ce sera La Vallée de la Jeunesse, paru en 2007 chez La Joie de lire. Mais Eugène est un petit facétieux. Il est bien conscient que nous sommes tous un peu pareils et tous un peu différents. La principale difficulté, c’est que l’on se raconte tous de la même manière, de notre enfance au stade actuel, en évoquant nos amis, nos amours et nos emmerdes du trajet. Eugène a préféré choisir de se raconter avec 20 objets qui ont été importants dans sa vie, qui le racontent mais aussi le dévoilent, et la liste est divisée entre ceux qui lui ont fait du bien et ceux qui lui ont fait du mal.
Cela ne révolutionne pas l’autobiographie, on y retrouve les grands traits attendus, mais cela permet d’en atténuer le classicisme. Les éléments de biographie évoqués dans le premier paragraphe de cette critique font l’objet de chapitres, sous l’angle des objets en rapport. Cependant en utilisant les objets qui ont compté pour lui Eugène nous dévoile aussi une autre forme d’intimité, qui nous rappelle notre rapport au monde qui nous entoure.
Ces éléments choisis sont assez hétéroclites ; un kilo de tomates représente l’enfance joyeuse et farceuse d’un petit garçon, un Rubik’s cube approfondira le rapport entre Eugène et son père tandis qu’un carnet de voyages détourné nous présente le côté fantaisiste d’un auteur. Mais ces objets et ses souvenirs peuvent être plus douloureux, au sens littéral comme avec l’aiguille à ponction, ou de manière détournée, avec cet atlas d’anatomie utilisé pour expliquer et calmer les ardeurs sexuelles d’un petit être en devenir. Le dernier objet présenté est une dépouille, le texte est glaçant. C’est le passage à l’âge adulte.
Il est donc assez intéressant de se plonger de cette façon dans le passé d’une autre personne, en évoquant des objets qui sont autant de réceptacles de fragments de vie. Même si c’est fait de façon assez détendue, avec quelques vilains défauts et autres vices bien exposés, on n’échappe cependant pas à une certaine manière de se raconter, pour justifier l’objet de ce livre.
Il faut aussi admettre que l’écriture d’Eugène est assez plate, comme dans beaucoup de ses livres, sans réelles recherches d’évocation. Cet écueil est moins désagréable ici, car sa simplicité permet de créer de l’affection, les ponts de sympathie se créent plus facilement. Mais le résultat n’en reste pas moins que La Vallée de la Jeunesse se lit avant tout pour découvrir des bouts de vie, pas pour être transporté émotionnellement par l’univers d’un style.
Cette autobiographie est appréciable, mais elle se rate parfois dans ses objectifs. Tout le parcours attendu est retracé, c’est la forme qui diffère un peu. Avec le risque en s’intéressant à certains objets de tourner autour de digressions peu palpitantes, des tranches bien fines de vie, certainement intéressantes pour l’auteur, moins pour le lecteur. De plus, Eugène se raconte parfois de façon trop appuyée, quand des éléments plus distinctifs de son parcours sont parfois trop vite esquissés. Il en ressort malgré tout une certaine forme de sympathie, et ce qu’on en retient permet de mieux comprendre certains points de son œuvre.