La vengeance m'appartient, Marie Ndiaye, Gallimard
Il est toujours très triste de ne pas « entendre » un livre, de n'en rien comprendre, ni l'histoire, ni le propos, ni d'ailleurs le titre. Pourtant, j'avais beaucoup aimé « Trois femmes puissantes » de Marie Ndiaye, qui avait été récompensé par un grand Prix Goncourt.
Et l'histoire de celui-ci pouvait me « parler » : une avocate, issue d'un milieu modeste, s'installe dans les beaux quartiers de Bordeaux et se trouve sollicitée par M. Principaux, époux « grande famille » d'une femme qui vient de noyer ses trois enfants dans la baignoire. Etonnée qu'on la choisisse, elle, pour une affaire aussi médiatique, son trouble s'accroît à la vue de cet homme qu'elle croit reconnaître comme étant le fils de famille chez laquelle sa mère faisait jadis le repassage, qui l'avait tant éblouie, ou ravie, alors qu'elle avait dix ans et lui quatorze, tous deux enfermés dans sa chambre.
Cette avocate, Me Suzanne, tente de se remémorer la scène : dans cette chambre que s'était-il passé ? Mais son interlocuteur affirme ne l'avoir jamais rencontrée et, sa mère, Mme Suzanne prétend ne pas se souvenir du nom de cette maison qui l'employait jadis tandis que M. Suzanne, le père, ne veut plus entendre parler de cette histoire....
Me Suzanne emploie aussi, désormais, ou à son tour, une femme de ménage, Sharon, une Mauricienne sans papier qu'elle paie à la journée, et dont elle souhaite régulariser la situation, avant de s'apercevoir, navrée et culpabilisée de l'être, que Sharon profite de ses absences pour aller faire le ménage ailleurs.
Me Suzanne a enfin un ex, père d'une petite fille, à laquelle elle s'accroche comme si c'était la sienne.
Tout cela est nimbé d'étrangeté. Les scrupules des « transfuges de classe », comme le sont Me Suzanne, Marlyne l'infanticide, mais aussi Sharon qui vit en France loin de sa famille mauricienne, bien rendus. Les relations entre Me Suzanne et ses parents traités avec finesse. Et au fond, les trois portraits de femmes plutôt intéressants.
Mais cela ne prend pas ! On se demande où veut en venir l'auteur, ce qu'elle tente de nous dire (Bordeaux est un décor, la traite négrière à peine évoquée- parce qu'il le faut bien...). Et à chaque page où le livre, soudain, paraît se nouer enfin, on songe à un autre livre ou à un autre auteur. Il y a du Thérèse Desqueyroux dans l'infanticide Marlyne, et on songe alors à Mauriac. Il y a du Leila Slimani, aussi, dans la femme de ménage ou dans le récit du crime, et on songe à « Chanson douce ».
On passe le livre à penser à un autre livre, à un autre auteur, à une autre histoire.
Ajoutez à cela qu'il y a des « froids hyperboréeens », deux « riotements » (petits rires étouffés) à quelques pages d'intervalle, des « héroïne ténébreuse », des « contingences extérieures », des « au point de vue de la fascination », des « tumeur enkystée », un « parc gourmé ». Bref des rapidités et des sophistications qui font rarement les grands livres. Dommage.
NB/ Je n'ai guère pour habitude de rudoyer les livres, quelle qu'en soit la qualité, et tout auteur peut avoir, comme nous tous, des moments de faiblesse ou de méforme. Un écrivain n'est pas une marque dont la qualité, attendue, serait systématiquement au rendez-vous. La critique de celui-ci est généralement enthousiaste, pour des raisons qui m'échappent. Il y a tant de bons livres à lire....