Un précédent titre de Marie Ndiaye était Trois Femmes puissantes.
Les trois femmes, héroïnes de La vengeance m'appartient, sont au contraire en souffrance. Impuissantes à rejoindre le personnage dont elles pensent qu'elles devraient être, à assumer leurs racines, à prendre leur vraie place.
Me Susane est avocate. "Elle avait travaillé dans un gros cabinet de Bordeaux, puis décidé, deux ans plus tôt, de monter le sien".
Ses parents, lui employé communal, elle femme de ménage, avaient suivi avec crainte et fierté les études de leur fille.
"Elle les aimait tant". Mais comment assumer leurs ambitions rendues plus inquiètes par l'allure de sa vieille Twingo. "Ses chers parents, exténuants, si peu clairvoyants (…)".
La seconde femme est la femme de ménage de Me Susane, Sharon, mauricienne sans titre de séjour qui se dépêtre comme elle peut de ses difficultés familiales et de l'aide encombrante que Me Susane veut lui apporter en essayant de régulariser ses papiers et en la payant bien plus que nécessaire.
Le texte parfois rentre plus avant dans les réflexions de l'avocate par des phrases en italique : " Je veux seulement, Sharon, faire le bien à ma façon".
La troisième est Marlyne. Son mari M. Principaux entre dans le cabinet de l'avocate pour lui demander d'assurer sa défense. Elle a noyé ses trois enfants. Des enfants parfaits qu'elle aime plus que tout.
Mais qui est ce Principaux ? A dix ans, Me Susane avait accompagné sa mère qui faisait du repassage dans une maison cossue à Caudéran près de Bordeaux. Le fils, d'une quinzaine d'années, avait invité la fillette dans sa chambre. Le souvenir des instants qu'elle y a passé constitue un ravissement au sens de Lol V Stein de Marguerite Duras. Sa vie en a été transformée. Mais que s'est-il passé ? M. Suzane père est convaincu qu'il n'y a rien là de très honorable mais Me Suzane affirme que c'est grâce à ces quelques instants qu'elle est devenue avocate.
Mais pourquoi est-elle convaincue que ce garçon est M. Principaux ; puis elle doute, puis elle ne sait plus vraiment ce qui s'est passé.
Un mystère de plus. Comment faire la part du souvenir et des intentions de chacun.
Marlyne a quitté son métier de professeur pour élever ses enfants comme il faut, pour être l'épouse modèle comme elle le conçoit, comme son mari le conçoit, comme elle pense que son mari le conçoit.
Qu'est ce qui l'a conduite à ce crime épouvantable ? Dans une confession admirable à son avocate venue la voir en prison et qui constitue un superbe morceau de littérature elle vide son sac d'une façon hallucinante.
Dix pages d'un texte serré sans un retour à la ligne, chaque phase commençant par "Mais", elle crache les contraintes sociales qui lui dictent sa vie et le comportement qui convient.
"…Mais c'est M. Principaux que j'aurais voulu extirper de mon destin mais ce n'était pas possible."
La phrase de Marie Ndiaye est incroyablement précise ; elle vrille chaque idée qu'elle expose, elle y revient, la contourne, la reformule, la précise, la dissèque.
Ses personnages sont toujours dans la difficulté d'adapter leur comportement à ce qu'il pensent que l'on attend d'eux.
On est toujours dans la tête de Me Susane (elle sera toujours désignée ainsi) parfois même dans ses fantasmes ou dans ses représentations, dans les hésitations de ses souvenirs.
On ne saura pas de quelle vengeance il est question dans le titre et qui la revendique à moins que ce soit chacune à sa façon.