Comme pour Le garçon en pyjama rayé, dont La vie en fuite constitue une suite, le dernier roman de John Boyne pose la délicate question de la fabrication d'une fiction dont des éléments majeurs ont à voir avec l'Holocauste. Il y a toujours un aspect embarrassant à marier le romanesque avec l'horreur absolue et La vie en fuite n'y échappe pas, avec son héroïne qui a été sinon coupable, tout du moins témoin et par conséquent complice, de l'atrocité humaine, en dépit de son jeune âge à l'époque. Dans sa postface, Boyne écrit qu'il est "fasciné par l'Holocauste" depuis l'âge de 15 ans, avide de trouver des explications à cette monstruosité. Au demeurant, on ne peut reprocher à l'auteur de ne s'en servir que comme simple ressort dramatique, il s'agit de bien plus que cela, d'un poids et d'un remords essentiel dans le portrait d'une femme définitivement marquée, dressé dans La vie en fuite. Le livre alterne le passé lointain, après la guerre, à Paris, puis à Sydney et à Londres, avec le présent, pour une désormais nonagénaire qui a fait sa vie sans jamais que la peur ne la quitte. John Boyne est l'un des romanciers contemporains parmi les plus brillants et machiavéliques- il suffit de citer Les fureurs invisibles du cœur ou L'audacieux monsieur Swift, par exemple- et il montre ici de nouveau toute sa maîtrise d'une intrigue bourrée de suspense et d'émotion. Même si l'on trouve son sujet de fond indécent, pour ne pas dire plus, il est presque impossible de ne pas être tenu en haleine tout au long du livre, en dépit de quelques coïncidences forcées et d'un dénouement difficile à avaler. L'art de la narration de Boyne est indéniable mais quelqu'un pourrait-il lui conseiller, à l'avenir, de cesser de revenir à une période lugubre de l'Histoire dont on a du mal à concevoir qu'elle puisse servir de tremplin à une fiction, aussi captivante soit-elle, avec ses sentiments de culpabilité et d'effroi à chacune de ses pages.