Après des débuts difficiles comme actrice et mannequin, la Britannique Yrsa Daley-Ward s’est fait connaître avec Bone, un recueil de poésie en spoken word, cette technique qui joue sur les sonorités et le rythme pour oraliser et musicaliser un texte. Cinq ans plus tard, en 2019, son autobiographie The Terrible, elle aussi très originalement stylisée, remportait le PEN/Ackerley Prize. Ce livre est aujourd’hui traduit en français sous le titre La vie précieuse.
Née d’une mère jamaïcaine et d’un père nigérian qui l’a abandonnée à la naissance, Yrsa grandit sur fond de discrimination raciale dans l’Angleterre des années 1990. Sa mère infirmière de nuit menant une vie instable et difficile, ce sont ses grands-parents, membres intégristes de l’Église adventiste du septième jour, qui, de ses sept à onze ans, l’élèvent avec son frère Little Roo dans l’outrance rigoriste de leur cadre moral et religieux. Le contraste est absolu avec la vie bohème et l’indépendance totale que les deux enfants retrouvent à leur retour chez leur mère. Leur parcours d’adolescents s’avère alors chaotique, entre drogue mais aussi prostitution pour Yrsa, alors que la précarité et son tempérament – « le terrible » dont elle raconte les frasques et les éclats comme s’il était une créature autonome en elle – la jettent dans une errance de tous les excès. Heureusement, du pire finit quand même par jaillir la lumière, lorsque la poésie devient son exutoire et sa bouée de sauvetage.
L’écriture d’Yrsa a la fluorescence d’un diamant noir. Elle irradie du fond de l’obscurité, accroche la lumière aux arêtes vives d’une voix qui a trouvé dans la stylisation poétique un mode d’expression aussi viscéral qu’élégant, frontal mais jamais cru, mêlant le silex de sa lucidité d’adulte à la tendreté de son ressenti d’enfant, pour un récit sombre où triomphent malgré tout espoir et résilience. Entre prose et vers libres, l’oralité poétique du texte sait si bien jouer du rythme des mots et de la mise en page, de ruptures en ellipses et accélérations, de passages développés en fragments lapidaires, variant autant les effets sonores que visuels au gré d’une composition de page variée et inventive, que d’emblée captivé par la sincérité, la force et l’originalité du récit, l’on y plonge dès son exergue déjà singulier pour ne plus en émerger avant son point final, surpris, impressionné, conquis.
En trouvant dans l’écriture le palissage qui manquait à son existence de plante poussée sauvagement dans une marge sociale et familiale, Yrsa Daley-Ward est aussi devenue une alchimiste des sentiments et des sensations, transmutés ici en une oeuvre poétique et littéraire réellement belle et singulière, puissante et profonde. Un livre étonnant et marquant, qui se dévore d’une traite. Coup de coeur.
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