La vitesse des choses est à la fois un roman et un recueil de nouvelles, chaque récit faisant corps à l'ensemble et devant se lire dans l'ordre donné. Dans la première nouvelle, appelée Notes pour une Théorie du Lecteur, le narrateur se propose de réfléchir à la question du lecteur actif. Il se trouve à bord d'un navire, le S.S. Neptuno quand il découvre un petit carnet à la couverture en cuir rouge usé. Celui-ci est déjà rempli de notes énigmatiques, entre mysticisme et autobiographie, cela ne peut que susciter la curiosité de l'auteur devenu lecteur quant à l'identité du mystérieux passager à qui le livret appartient. Au fil de la lecture, il apprend que l'individu serait un homme, journaliste, mais écrivain de cœur, venant d'Argentine. Tous deux ont étrangement en commun le pressentiment de la fin du monde imminente, qui selon eux doit être le thème de tout bon livre. Il semble que le lecteur soit lui aussi argentin, une coïncidence troublante de plus entre les deux hommes. Il rencontre une femme sur le pont qui lui demande, puisqu'il est écrivain de lui raconter une histoire. Étant habitué à ces demandes, il a une histoire toute prête sur la fin du monde, d'un homme qui savait toujours ce qui allait se passer 5 minutes avant les autres. Cette fois elle a plus d'impact qu'à l'accoutumée car la femme se met à pleurer et dit qu'il a dû être envoyé par la déesse. Sentant là comme la trame de quelque chose qui pourrait devenir un livre, quelque chose de "fictionnable", c'est-à-dire la vitesse des choses, le moment où la vie devient livresque, il la prie de lui raconter son histoire. Comme ce n'est pas sa voie de conter, elle s'embrouille, digresse, et le narrateur parvient à saisir qu'il s'agit d'une sorte de secte dans laquelle elle a été embrigadée, rendant un culte à la Déesse, sur une île perdue. Cela lui inspire une nouvelle qu'il note sur le carnet du passager inconnu. Leurs deux histoires s'entremêlent, avec celle, déjà transformée, de l'étrange femme.

Rodrigo Fresán nous le dit lui même, son livre traite des morts, mais pas de la relation que les vivants ont avec eux, plutôt du monde des morts qui nous observe, et interagissent dans notre petite existence. Ce ne sont pas de terribles ectoplasmes mais des souvenirs palpables, modelés par notre vécu avec eux. Il traite aussi du passé et de la mémoire, un bon écrivain serait un écrivain oublieux, puisqu'il peut ainsi réécrire son passé, inventant les morceaux manquants. Contrairement à son célébrissime compatriote, Borges, Fresán dénigre le rêve, tâtonnements de l'inconscient, au profit de ce qu'il appelle "La vitesse des choses". Entre métaphysique et anecdotes funèbres du monde entier, parsemé d'aliens, le narrateur se décline en dizaine de personnages qui sont tous liés, d'où l'importance de lire cet ouvrage assez rapidement, et même comme cela on s'y perd. Sur le fond on trouve un complot comme on les aime, les écrivains meurent, rongés par un mal inconnu, et une fondation secrète est mise en place afin de récupérer les bibliothèques des morts et de repérer les gens ayant la fibre littéraire au cas où ils se mettraient à écrire pour les protéger. Les références littéraires à peine voilées à Pynchon, Melville, Poe, et j'en passe... Vu comme ça, ce roman-nouvelles aurait tout eu pour me plaire, et aux premières pages j'y ai vraiment cru. Mais il s'essouffle vite, on ne peut pas traiter tant de sujets philosophiques, métaphysiques et de personnages sans tomber dans la confusion, enfin... Il faut s'appeler Thomas Pynchon. De plus il use d'un procédé terriblement scabreux, très à la mode dans la littérature moderne, je veux bien entendu parler de la répétition, utilisée à bon escient elle peut être terriblement efficace, mais l'on a vu ses ravages dans la littérature de Palahniuck, ici des passages entiers sont répétés à plusieurs reprises et l'effet n'est pas très réussi. Il y en aurait eu un peu moins, histoire d'avoir juste une impression de déjà-vu, d'avoir envie de feuilleter le livre pour voir si ça vient de nous ou si c'était vraiment écrit plus loin, c'est ça dont on a besoin. Enfin, moi en tout cas. Des concepts superbes, Le Zimzum (le bruit que fit Dieu en se retirant, après avoir engendré le Monde), la vision du monde des morts, la guerre entre partisans de la vie comme nouvelle ou comme roman... J'aime aussi énormément le titre de certaines nouvelles : Monologue pour salaud avec baleines et petite soeur fantôme étant ma favorite. Pourtant pour moi les nouvelles sont trop longues, les concepts sur-développés, perdant toute consistance. J'accepte de m'ennuyer pendant un roman, mais si je m'ennuie à la lecture d'une nouvelle, il y a un souci, et là ça a été le cas. heureusement la fin du livre est magistrale. Une lecture au presque-parfait, d'un auteur qui a touché du doigt mon cœur sans jamais savoir l'étreindre.
Diothyme
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le 24 juil. 2011

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