La Vocation est un roman, récipiendaire en son temps de l'infamant grand prix de l'Académie Française, et évidemment totalement oublié dans la seconde, publié en 1916 – et rédigé trois ans plus tôt – par Avesnes, le pseudonyme de Louis de Blois, un descendant de la noblesse d'épée ayant effectué une carrière politique mineure après une courte carrière dans la marine.
La Vocation est, frontalement et sans aucune ambiguïté, un roman à thèse : chacun de ses personnages est censé représenter une attitude face à la nouvelle société qui se dessine au début du Xxe siècle et la psychologie des acteurs y est largement repoussée au profit de leur peinture idéale.
Jean de Raimondis, le dernier rejeton d'une famille de basse noblesse de la campagne très attachée à ses traditions, n'a qu'une ambition : il souhaite poursuivre l’œuvre de ses pères en s'engageant dans la marine pour y devenir un officier voyageur et compétent, avant de revenir s'occuper de sa maison. La réalisation de ce petit roman de formation sera l'occasion pour lui d'être confronté à tout un ensemble de personnages incarnant les divers travers de la modernité : le baron Privaz représente la vulgarité des nouveaux riches qui explosent dans l'industrie, son fils Amédée incarne le jeune premier à tous les concours sans aucun caractère qui sera lâche face à l'obstacle, l'ami Tom de Pontcournai sera l'aventurier aux Amériques que l'armée, dans son recrutement scolaire, n'aura pas su repérer, l'oncle d'Orves sera le gentilhomme de province lettré et trop rêveur, et les femmes formeront globalement un essaim de mouches clinquantes mais aussi superficielles et matérialistes.
Le roman est divisé en trois parties d'inégales longueurs. La première s'intéresse essentiellement au concours de recrutement dans la marine, qui fait l'objet de la critique principale du roman, la deuxième se penche sur la formation de marin de Jean qui le confrontera sporadiquement à une élite parisienne viciée, et la dernière sera l'occasion pour le personnage d'abandonner toutes ses mauvaises tentations au profit d'un sacrifice presque virginal pour le départ en campagne à pont de navire.
La thèse réactionnaire du roman, explicitement reformulée après le livre sous la forme d'un mini-essai en appendice, est on ne peut plus transparente à la lecture de l'intrigue : l'Ancien Régime avait des défauts mais savait cultiver une force de caractère légitimant la primauté sociale de la noblesse ; la société technocratique de la IIIe République sombre a contrario dans une forme de dégénérescence où les élites de demain sont soit des spéculateurs vulgaires soit des bachoteurs en mathématiques.
Le roman a ce souci qu'ont fondamentalement les œuvres thétiques, qui tordent des caractères et des comportements pour tout faire rentrer dans un prisme analogique forcément assez grossier : les personnages entrent et sortent de scène de façon relativement improbable en se contentant toujours de débiter quelques paroles venant conforter leur étiquette, la composition du livre est hachée et elliptique à chaque fois que le temps de la diégèse ne permet pas d'appuyer les idées à illustrer, et l'ensemble manque totalement de structure crédible, d'une composition de chair qui ferait croire à l'histoire de ce jeune obstiné, opportunément amoureux simplement pour que l'on apprenne que l'amour frivole d'une femme ne sert à rien quand on peut s'entasser avec des abrutis en cale. Cela est d'autant plus navrant que pour habiller ses idées, l'ouvrage se pare d'un suivi scrupuleux des règles du roman balzacien qui est totalement ringard et dépassé en 1913, à la date de la rédaction.
Pour autant, est-ce inintéressant de lire La Vocation, pour peu que l'on arrive à mettre la main par hasard sur un exemplaire piqué de vers et d'acide de cette académiserie anonyme ? Pas totalement. Je projette nécessairement un peu ma propre détestation de mes années concours sur la lecture mais il est assez frappant – ou navrant – de lire un roman qui épingle déjà, il y a cent ans, la plupart des travers qui marquent encore notre système scolaire de recrutement des « élites républicaines », comme on disait chez ces cons de l'agrégation pour faire reluire de déjà vieux enfants, sans que rien n'ait changé en profondeur. La première partie du livre est, à cet égard, vraiment très sympathique. Le deuxième bon point, c'est qu'en diachronie, la digestion du roman fournit une expérience de lecture de second degré assez intéressante. Avesnes est un produit stéréotypique de sa classe, de cette noblesse qui a maintenu pendant des décennies voire des siècles tout un imaginaire fantasmatique sur l'armée qui n'arrivait pas à bien disparaître malgré son manque de cohésion total avec les faits, et il y a une forme de poésie des ruines assez plaisante à parcourir cette littérature cadavre qui se galvanise encore comme elle peut, même si la pile est depuis longtemps déchargée.
Les anachroniques agressifs sont irritants, mais les anachroniques mélancoliques m'arrachent encore beaucoup d'empathie. Et de sympathie.