Merci aux éditions de l'Iconoclaste et au site Lecteurs.com pour cet envoi.
Un pavillon dans un lotissement. Quatre chambres. Celle des parents, celle de la narratrice, celle de son petit frère Gilles. Et la quatrième. Celle des cadavres. Des animaux empaillés, défense d'éléphant... Une hyène surtout. Fascinante et terrifiante. Et un monstre, le père chasseur de gros gibier qui consacre une pièce de la maison à exposer ses trophées.
Dès la première page l'ambiance est posée. C'est glauque, c'est malsain, c'est noir. Le père est violent et prend toutes les décisions. Son emprise psychologique sur sa famille est très forte, tous craignent ses réactions. Toutes les violences ne sont pas physiques. Le climat de ce foyer n'est pas équilibré mais malsain. On ne ressent pas d'amour derrière cette noirceur. On a envie de fuir. On sent la violence et la tension monter cran après cran. On se demande si tout cela va s'arrêter. On est mal à l'aise, on se sent voyeur et impuissant.
L'envie de la narratrice de changer leur vie et plus particulièrement celle de son petit frère lui vient après un drame dont ils sont témoins tous les deux. Depuis ce jour, Gilles n'est plus le même. Il ne parle plus. Il devient quelqu'un d'autre. Jusqu'à apprendre à tirer avec son père.
"Le 26 septembre, Gilles a eu huit ans. Mon père lui a offert un
abonnement au stand de tir."
Elle voudrait tellement pouvoir le protéger. Lui offrir un nouveau départ, une autre vie. La vraie vie. Effacer les horreurs du passé. Cette envie accroît son intérêt pour les sciences, cela envie de savoir lui permet de s'évader de son quotidien, c'est son échappatoire. Sa raison d'avancer et d'y croire.
"J’ai patienté longtemps en fixant le plafond. J’ai pensé à la vermine
dans la tête de Gilles. J’ai pensé à la hyène. Ce soir, la bataille
serait gagnée. Tout ça n’aurait jamais existé. C’était le dernier jour
de mon brouillon de vie. Bien sûr, mon père aurait encore ses colères
et ma mère serait toujours une amibe. Mais j’allais retrouver mon
petit frère. Et son rire avec toutes ses dents de lait."
Le style d'Adeline Dieudonné est fluide et percutant. Les mots sont choisis avec soin. Les évènements s'enchaînent rapidement, et le trouble du lecteur grandit page après page. On ne peut pas rester insensible à cette écriture qui pose le lecteur en spectateur malgré lui.
"Les têtards, vous savez, il y a des gens qu’il ne faut pas approcher.
Vous apprendrez ça. Il y a des gens qui vont vous assombrir le ciel,
qui vont vous voler la joie, qui vont s’asseoir sur vos épaules pour
vous empêcher de voler. Ceux-là, vous les laissez loin de vous. Lui,
il fait partie de ceux-là."
J'ai posé plusieurs fois le livre en cours de la lecture. Non par manque de temps pour lire plus. Mais par besoin de faire une pause. J'ai ressenti un si grand malaise. Je n'avais pas l'impression d'être à ma place, comme si je regardais par la fenêtre de mes voisins en cachette. C'est dérangeant. C'est sûrement le but de ce roman, et c'est extrêmement bien fait.
"(...) la vie est une grande soupe dans un mixer au milieu de laquelle
il faut essayer de ne pas finir déchiqueté par les lames qui vous
attirent vers le fond."
J'ai mis beaucoup de temps avant de mettre ces mots sur mes sentiments vis à vis de ce livre. Je ne sais toujours pas si j'ai aimé ou pas. Je ne sais pas si je suis capable d'apprécier un roman qui me met autant mal à l'aise. De lire des situations aussi glauques. Il n'empêche que malgré tout, je suis allée au bout, et je reconnais à Adeline Dieudonné ce talent de scotcher son lecteur à ses mots. De raconter une histoire sordide tout en faisant de son lecteur un spectateur malgré lui des horreurs verbales et physiques qui se déroulent dans ses phrases.
En bref, la vraie vie est un roman noir, très glauque. Un premier roman extrêmement efficace, qui ne laisse pas indifférent, qu'on ait aimé ou pas. A lire, pour se faire son propre avis.
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