Des frissons. Depuis quand ai-je frissonné à la lecture d'un livre ? Jamais. Je ne crois bien jamais. J'ai déjà eu peur plus jeune, rigolé, été happé (on y reviendra), mais jamais je n'ai senti cette excitation énorme lors du dévoilement et l'exécution d'un plan par les protagonistes d'un livre (ici, l'ultime coup de force). Est-ce similaire au suspens ressenti face à un film ? Non pas de la crispation, la sensation est ici électrique. Et ce premier roman de Damasio l'est : électrique. J'entends par là libre, plein de fougue et frappant. Plus encore ce qui surprend et est à la fois extrêmement revigorant, c'est comment l'auteur, loin d'écrire un pamphlet anarchiste, nous dévoile également l'autre face de la pièce révolutionnaire : comment les gouvernements utilisent les sociétés parallèles, les tolèrent, et les incluent même dans leur politique. Le héros ne se contente pas de faire des actions fortes, de montrer sa bravoure et de nous inculquer et rappeler aux passages quelques idées et savoir-faire, il se voit aussi confronter au régime qu'il combat, et qui prend un malin plaisir à dévoiler tous ses engrenages, ses pratiques mortifères, ses logiques et ses réappropriations. Depuis longtemps je n'avais pas ressenti cette sensation de plonger dans un univers fait de pages, d'être avec les personnages, oubliant presque le papier et ne gardant que mon imaginaire. A la croisée des chemins entre roman et essai qui ne cache pas ses références (elles sont toutes citées dans les postfaces qui vous collent des larmes aux yeux), publié en 1999-2000, La Zone du Dehors prend une saveur particulièrement amère aujourd'hui. Le lire c'est aussi se rendre compte à quel point son auteur, apparu à de nombreuses reprises dans des médias alternatifs depuis un an, notamment avec son dernier roman Les Furtifs, tenait déjà un discours carré, et lucide sur la société à-venir.
PS: On pourra reprocher une certaine vision de la femme, que je ne m'explique pas vraiment.