J'ai dévoré ce bouquin. Il se lit d'une traite et Jablonka, en position d'analyste sur une affaire ultra-médiatisée, parvient à maintenir à plusieurs reprises une forme de suspens. On suit un double récit, celui de l'enquête sur la mort de Laetitia et celui de l'histoire de sa vie. Les deux trames finissent par se rapprocher pour se fondre dans les derniers chapitres. De ce point de vue-là, la structure narrative de l'ouvrage est impeccable. Le style de l'auteur est élégant, limpide. On dévale l'ouvrage avec plaisir et sans effort
Mais si l'expérience de lecture a été très agréable, je reste globalement dubitatif. Je suis un fan de Carrère, du style et de la posture narrative qu'il a mis au point lors de l'écriture de L'adversaire et qu'il a répliqués dans Limonov ou D'autres vies que la mienne. Et le bouquin de Jablonka m'a trop souvent rappelé l'oeuvre de ce cher Emmanuel : honnêteté quant à la démarche d'enquête, écriture quasiment blanche, détours techniques (la découverte du travail des Juges d'Application des Peines rappelle trop celle des magistrats de Vienne dans D'autres vies)... La démarche et le résultat sont très similaires mais, sans doute par choix, Jablonka décide de moins se répandre en subjectivité que Carrère. Il prend moins de place dans son ouvrage, se montre moins systématiquement réflexif, bref il s'efface. Cela plaira à ceux qui sont agacés par l'omniprésence narrative de Carrère. Ça m'a déçu car c'est justement cette surprésence qui fait sortir ses ouvrages du journalisme et les installe de plain-pied dans la littérature, en mettant au point une forme de narration pour moi nouvelle.
Jablonka reste trop à mon avis trop proche de son récit et peine à en faire une véritable oeuvre littéraire. L'une de ses options aurait été de monter en technicité et en érudition, ce qu'il choisit de ne pas faire, sans doute pour ne pas effrayer un public non universitaire (c'est d'autant plus dommage qu'il en aurait eu les moyens : c'est un spécialiste de l'histoire des services sociaux).
J'ai pris plaisir à lire ce texte, mais je le trouve trop hybride. On est entre le journalisme, l'oeuvre littéraire et le texte universitaire, dans une posture ambigüe qui convainc moins que les éruptions subjectives de Carrère.