« Elle pense La danse me sauve. Mais de quoi? » (p. 29)


La danse, Lea en a fait sa passion et son métier. Occuper l'espace demeure pour elle un souci permanent.

« Danser, c'est altérer le vide.
Pourquoi inscrire un mouvement dans le rien? Elle voudrait tant pouvoir juste contempler et habiter simplement, sans bouger. Elle envie ceux qui le peuvent. Elle, elle n'y arrive pas.
Elle est un mot étranger jeté dans une langue. Comme un mot tout seul jeté dans le silence. Elle se sent intruse. Depuis toute petite.
Alors elle danse. Il faut qu'elle trace, avec son corps, les lignes qui permettent d'intégrer l'espace. Seule la beauté du mouvement peut le sauver.
C'est sa façon de trouver sa place dans la vie.
Lea est chorégraphe par nécessité. » (p. 9)

Outre cette vocation, Lea compte dans sa vie Bruno, peintre qu'elle aime mais dont elle se préserve malgré elle – « il y a des jours où elle n'est pas une compagne possible » (p. 28) – et sa mère – celle à qui Lea garde toujours une place au premier rang lors de ses spectacles et qui jamais ne vient l'occuper...

Lea connaissait déjà une peur constante et injustifiable par le passé, mais celle-ci est désormais encore plus vive : aujourd'hui, quelque chose a changé. La voix de sa mère, au téléphone, et surtout le fait qu'elle ait des aveux à tarir...

« Sa mère a passé sa vie à se faire oublier. Plus que discrète. Effacée. Et voilà que maintenant elle veut la voir et lui « dire des choses importantes ». » (p. 20)

Par l'alternance des chapitres, l'on découvre, parallèlement à Lea, la jeunesse de Romilda, à Naples, dans les années '40.

S'arrachant à une triste enfance aux côtés d'une génitrice très peu aimante, Romilda s'est enfuie avec un Français répondant au nom de Jean-Baptiste. Son premier amour. Celui-là qui lui promettait de la marier après la guerre a rendu Romilda passive et fantomatique en faisant d'elle Suzanne, sa prisonnière, et en l'obligeant à livrer son corps aux soldats...

« Depuis deux ans, Romilda n'est plus personne.
Elle n'a pas de clé pour fermer sa porte.
Rien dans sa bouche pour articuler le refus.
Sa force, elle l'a perdue pour un homme, un seul. Celui qui règne sur elle dans la grande maison. Celui qui l'a asservie. » (p. 44)

Lea, d'humeur aussi sombre qu'explosive, va braver une terrible tempête et rejoindre Romilda pour entendre ses confidences et enfin, peut-être, comprendre d'où lui vient cette peur lancinante, inexplicable qui lui tenaille le cœur depuis l'enfance...

.

Je me suis plongée dans Laver les ombres en étant convaincue par avance de la qualité de l'ouvrage et du plaisir que j'allais en retirer puisque les romans de Jeanne Benameur se sont toujours avérés pour moi de valeur sûre. Hélas, je sors de ce livre assez désolée. Il est après "Les demeurées" et "Si même si les arbres meurent" celui qui m'a incontestablement le moins touchée.

Le livre est dentelé de la douce poésie dont l'écrivaine a le secret. Son style est égal à lui-même : ciselé et efficace, la donne est donc peu ou prou inchangée au niveau de la forme. Cependant, le style de Benameur, dont on sait qu'il est surprenant au premier abord et qu'il nécessite une accoutumance, n'a cette fois jamais daigné pénétrer ma personne.

Mon déplaisir a été causé par l'ininterruption des allusions à la danse qui se multiplient comme autant de refrains. Les répétitions ont parfois le don de créer un subjuguant relief, mais j'avoue m'être ici très vite lassée des pirouettes de Lea. Elles m'ont fait l'effet d'une inépuisable et épuisante rengaine. Il faut dire que je n'étais sans doute pas le public le mieux adapté pour une lecture telle que celle-ci. J'ai acquis ce livre les yeux fermés parce que le nom de l'auteure figurait sur la couverture, mais je suis à vrai dire assez peu réceptive à cet art qu'est la danse...

Outre mon imperméabilité à ce sujet prédominant, le fait est que je suis restée assez étrangère à Lea, Romilda et Bruno – dont l'âme esseulée est aussi brièvement esquissée. Je n'ai pas partagé les émotions qui habitaient ce trio diablement meurtri mais suis en revanche parvenue à observer l'exercice de style qui s'inscrit dans ce roman... C'est d'ailleurs par là que j'ai cru percevoir, hélas, combien l'auteure avait léché sa prose...

Les angoisses de Lea et Romilda, par l'alternance des chapitres, se superposent et se confondent. La relation qui lie les deux femmes s'en ressent d'autant plus singulière. Comme à son habitude, Benameur privilégie toujours la relation mère-fille, mais l'histoire m'a paru manquer de la simplicité et de l'ineffable pureté des "Demeurées". Ici j'ai perçu une finesse un brin maniérée... Or, je préfère les perles naturelles aux cabochons laborieusement polis.

En conclusion, "Laver les ombres" m'a paru à la fois trop travaillé et... trop féminin.

Une déception surmontable : ma Pile-à-lire compte toujours "Les mains libres", de la même auteure. Je ne rechignerai certainement pas à le lire, mais espère vivement retrouver l'enchantement connu à la lecture des "Demeurées".
Reka
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le 23 janv. 2011

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