Pris dans la toile et les toiles
Années 1970, en Argentine. Molina l’homosexuel et Valentin le détenu politique vivent reclus entre les quatre murs d’une cellule, confiés à la garde de geôliers versatiles. Les deux hommes ne se connaissent pas. À vrai dire, ils ne fréquentent pas le même milieu et ne goûtent guère au même idéal. Valentin doute même de l’idéal de Molina. Ce dernier a en effet été condamné pour détournement de mineurs. Un acte méprisable aux yeux du militant qui considère que l’Homme, le vrai, se révèle dans le combat politique. Et puis, qu’y a-t-il de commun entre lui, soucieux de renverser la dictature, et cet individu efféminé aux manières viles ?
Bien qu’il s’en défende, après tout la révolution doit libérer le pays de toute oppression, y compris celle des idées préconçues, Valentin se méfie de Molina. Pourtant, jour après jour, et surtout nuit après nuit, le révolutionnaire revient sur ses préjugés. Il découvre un homme sensible, courageux et fraternel. Un homme très éloigné de l’image de l’inverti. Un homme passionné de cinéma qui lui raconte chaque soir un film puisé dans sa mémoire. Des longs métrages américains issus des mauvais genres et des films de propagande allemande tournés pendant la Seconde Guerre mondiale. Et petit à petit, grâce à la magie du grand écran,Valentin se surprend à accorder sa confiance à Molina. Ils deviennent amis et se confient mutuellement leurs secrets intimes, leurs doutes et leurs espoirs.
Amis du suspense haletant, passez votre chemin. Voici l’anti-thriller par excellence ! Et pourtant, on ne décroche pas un instant du Baiser de la femme-araignée. Le roman de Manuel Puig est conçu comme un long huis-clos, un dialogue entre deux hommes que tout oppose et qui, pourtant, vont se rapprocher par la grâce du cinéma, leur lucarne sur la liberté.
On se plait à rechercher le titre des films racontés par Molina. À titre personnel, je n’ai juste identifié que La Féline de Jacques Tourneur (1942), peut-être aussi Vaudou (I walked with a zombie, 1943) du même réalisateur, mais je suis moins sûr n’étant pas spécialiste des longs métrages américains des années 1940.
On se laisse porter par le récit que l’homosexuel fait de leurs intrigues stéréotypées. Les images transposées en mots se chargent des émotions du narrateur. Il magnifie en quelque sorte la matière cinématographique lui conférant une dimension supplémentaire, celle de son propre vécu. D’abord critique, Valentin finit par succomber à leur charme, au point de délaisser ses propres lectures idéologiques. Et progressivement, la fiction permet aux deux hommes de s’affranchir du réel, d’oublier leur condition de détenu et d’apprendre à se connaître pour surmonter leurs barrières mentales. Ainsi, tout en pudeur et en retenue, le plus naturellement du monde, Manuel Puig transforme l’amitié entre Molina et Valentin en histoire d’amour.
Vous l’aurez compris, le roman de Puig m’a fait un fort effet. Que l’on me permette toutefois de trouver les notes en bas de page lourdingues. Le discours psychanalytique sur les causes de l’homosexualité qu’elles exposent, constitue le parfait remède contre l’amour de la littérature. En dépit de ce léger bémol, Le Baiser de la femme-araignée me paraît une lecture indispensable. Au moins pour prendre conscience que toute révolution commence par soi-même.
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