Le Banquet est fort probablement le dialogue de Platon m'ayant le plus déçu à ce jour, bien qu'il faille tout de même préciser que son excellente réputation a certainement dû peser dans la balance, m'en faisant peut-être attendre un peu trop. S'il fallait résumer simplement ma pensée, je dirais que le dialogue dont il est question ici rejoint la liste de ceux ayant mal vieillis et dont on peut très bien se passer aujourd'hui : avec les Alcibiade, les Hippias et le Lysis (si on ne prend en compte que ceux que j'ai lu).
Si on reprend l'ordre de Thrasylle, qui a classé les dialogues de l'auteur par thématique sous forme de tétralogie, Le Banquet est à ranger avec Parménide, Philèbe et (surtout) Phèdre. Le Banquet se révèle donc être le premier dialogue provenant de cet ensemble que je lis, et clairement, les thématiques abordées ne sont pas celles que j'ai trouvées les plus intéressantes chez le philosophe grec. Ça parle d'amour déjà (et je le répète encore mais moi j'ai un cœur de pierre), mais en plus de ça, tout est ramené à Éros, la divinité primordiale de l'Amour. Ceci fait que le dialogue peut se révéler captivant si on est fermement intéressé pour en apprendre plus sur les Dieux grecs et le rapport qu'ont les citoyens avec eux ; mais beaucoup moins dans un sens philosophique puisque la pensée de Socrate se fait, tout du moins proportionnellement, moins entendre que dans la plupart des autres dialogues le concernant. On retrouve, certes, des thématiques chères à notre philosophe préféré tel que les Formes et le passage du sensible vers l'intelligible, mais ceci se fait à travers le personnage de Diotime (dont la véracité fait toujours débat), et encore une fois, d'une manière beaucoup plus diluée.
J'ai tout de même apprécié la logique de vouloir créer des "duos de personnages" avec une pensée et un comportement bien différent pour chacun. Chaque membre de duo partant d'un même constat pour arriver à une conclusion différente ; par exemple, Phèdre et Agathon pensent qu'il y a un Éros unique, là où Pausanias et Éryximaque affirment qu'il y en a deux, chacun descendant d'une Aphrodite distincte. Il semblerait aussi que dans la langue originale, chaque personnage a une diction particulière, malheureusement, on ne retrouve pas vraiment ça avec la traduction de Luc Brisson. Le dialogue est heureusement bien structuré puisque les discours les plus complexes se font heureusement entendre en dernier : ça m'aurait encore plus emmerdé de devoir comprendre la logique de Diotime, très abscons, sans être passé par celle des autres personnages du récit auparavant. L'éloge d'Aristophane est par contre très agréable à lire ; on a plus affaire à une légende qui nous serait contée qu'à une véritable éloge, mais il s'agit du seul moment où je ne me suis pas ennuyé une seule seconde. L'éloge de Socrate fait par Alcibiade possède lui aussi quelques qualités et nuances bienvenues, en plus d'agir comme une synthèse des autres dialogues.
Ayant lu l'édition GF, traduite et présentée par Luc Brisson, c'est sans grande surprise cette partie-là qui s'est révélée la plus intéressante. Malgré les choix de mise en page que je n'ai jamais apprécié chez eux, comme l'introduction qui se révèle être un gros fourre-tout (que je vous conseille de lire à la fin du coup) et les notes entassées à la suite à la toute fin du livre (et non en bas de page ce qui casse mon rythme de lecture à chaque fois), ce qui est dit est, encore une fois et comme toujours chez eux, extrêmement riche et pertinent.
Encore une fois, je ressors plutôt déçu de ce dialogue, mais je suis surtout surpris de voir le prestige, l'aura, qui entoure Le Banquet, faisant partie des dialogues les plus populaires provenant de l'auteur (il s'agit même du dialogue le plus populaire de l'auteur sur SensCritique), surtout car d'autres de ses écrits se révèlent bien plus pertinents. En somme, de Platon, je serais plus tenté de vous recommander Lachès (Sur le courage), selon moi son meilleur dialogue de jeunesse, ainsi que la tétralogie centrée sur la mort de Socrate, essentiellement Apologie et Criton.
Quoi qu'il en soit, concernant Le Banquet, je pense qu'on peut très bien s'en passer. Au pire, je suis certains qu'une bonne partie de ses autres dialogues, pourtant moins populaires, sauront se montrer plus intéressant que lui.