Une robinsonade arboricole amusante et envoûtante
Paru en 1957, Le Baron perché est le second et le plus long opus de la trilogie Nos ancêtres de l'excellent auteur Italo Calvino.
Comme dans chacun des opus de cette trilogie, l'auteur italien imagine une situation drôlatique, surprenante, qui laisse songeur mais qui donne l'impression qu'on ne saurait comment l'étoffer sur la durée. Ce qui annonce plus ou moins l'appartenance à venir à cette époque de Calvino à l'OULIPO français, c'est le pari qu'il se lance de faire la biographie fictive de ce jeune garçon, Côme Laverse du Rondeau, fils d'une famille des plus originales et pourtant bourgeoise, qui décide irrévocablement, l'année de ses douze ans, sur un pari enfantin fait avec une fille de son âge qui est sa voisine, de ne plus jamais reposer le pied à terre. Sur ce postulat de départ, Calvino s'ingénie à bâtir des voyages, des aventures, des histoires policières (incendies criminels, la traque d'un truand converti au bovarysme) sans ne jamais faire mettre le pied à terre à son personnage. Pari réussi haut la main, ne serait-ce que par la mort - qui peut être décevante - mais extraordinaire de son personnage après une succession de chapitres que l'on eût pas cru possible.
Ce choix de vivre dans les arbres engagent deux lectures passionnantes de ce texte qui laisse imaginer de grandes possibilités cinématographiques malgré son érudition arboricole et son style classique.
On peut le lire comme une étonnante robinsonade où le monde ignoré et inexploré des arbres voit un homme civilisé évoluer, se faire une vie, s'y créer une société comme l'eût fait Robinson d'une île, rencontrant à l'occasion des sauvages (les jeunes mendiants, les aristocrates bannis, le terrible Jean), se retrouvant souvent seul face aux forces de la nature et usant d'autant d'astuces pour leur faire face.
On peut également le lire comme un éloge aux Lumières, l'histoire se déroulant à leur époque, le XVIIIe siècle, et mettant en scène un héros qui ne veut plus être terre-à-terre et préfère voir le monde sous un autre angle, depuis la cime des arbres pour rester libre de ses pensées.Le texte reprend d'ailleurs un style et un phrasé classique et passe le XIXe siècle au crible des croyances et espoirs philosophes pour s'achever sur un bilan écologiquement alarmiste et nostalgique ainsi que sur le cynisme transmis au narrateur par Côme qui devient d'ailleurs, du fait de son originalité d'être vivant dans les arbres, un Rousseau puis un Diogène dont certaines anecdotes existentielles sont détournées au profit des anecdotes fantaisistes de la vie de leur imitateur commun.
Un texte s'adressant donc d'une même voix et sans obscurité tant à un public large qu'à un public érudit avec un humour voltairien, swiftien à travers la voix de Blaise du Rondeau, le cadet de Côme, qui apporte savoureusement une touche de réalisme par l'aspect de témoignage qu'il offre au texte qui nous ferait presque oublier que tout ceci n'est qu'un conte philosophique digne d'un Candide, d'un Zadig, d'un Scarmentado mais réhaussé et renouvelé par une fusion avec le genre souvent considéré ennuyant de la biographie.
Défaut de ce livre, si elle paraît d'abord une qualité tenant de la prouesse et du moment de bravoure, la longueur du livre qui aurait pu s'éviter quelques passages, agréables à lire mais inutiles à la narration. Cette épaisseur du livre doit sans doute accentuer l'impression que l'on assiste au récit de l'intégralité d'une vie. Petit bémol pour lequel je donne un 8 à cet excellent ouvrage d'Italo Calvino.
Accourez donc tous pour jouer sans délai au Baron perché!
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