Le souffle de l'épopée, le parfum de l'aventure s'estompent quelque peu avec cette 2e partie du Fleuve de l'Eternité. Cette fois, nous suivons le rêve presque pusillanime de Sam Clemens, alias Mark Twain : construire un bateau à aubes afin de remonter ce fleuve brobdingnagesque jusqu'au séjour des créateurs de ce monde d'après la Terre. Un rêve grandiose malgré tout, dicté par les propres fantasmes de l'écrivain et par la volonté de l'Ethique renégat, le traître qui désire que l'Humanité ne soit pas victime de l'expérimentation menée par ses pairs. Car toute cette histoire de résurrection de masse ne serait que de la poudre aux yeux, les hommes n'étant pas davantage maîtres de leurs actes qu'auparavant.
En plaçant Clemens en tant que pivot du récit, on y perd tout de même : il n'a rien de ce héros romantique farouche, déterminé et inflexible qu'était Burton et on s'aperçoit du coup que la narration se calque sur le caractère verbeux, hésitant et ironique de l'auteur de Huckleberry Finn. L'homme systématiquement affublé d'un allié dangereux et fourbe, ira de désillusion en faux espoirs et connaîtra l'amère pression du pouvoir lorsqu'on dispose d'un tant soit peu de principes. Répugnant à tuer, à envahir et à éliminer la concurrence, il transige, atermoie ou espionne sans vraiment prendre d'initiatives. Ses alliés et ennemis n'ont pas ses réserves et ses scrupules et une grande partie du tome disséquera les tourments politiques qui assaillent le leader d'une nation supposée libre et démocratique, en butte à l'arrogance, la détermination et la convoitise d'Etats totalitaires pratiquant l'esclavagisme. Ce dernier thème est d'ailleurs largement débattu, lors de discussions certes passionnantes mais nuisant à la tension inhérente au genre. L'impression générale est du coup un peu nuancée bien que les nombreux coups du sort, trahisons, combats fratricides et interventions quasi divines rythment une histoire dense, riche en personnages et en forfaitures quoique moins enlevée et haletante que le premier tome.
Un peu comme une profonde respiration avant de se lancer dans le coeur de la saga. On en sait donc encore trop peu sur les Douze et l'Ethique renégat mais davantage sur les Elus destinés à braver tous les périls du Monde du Fleuve afin de confronter leurs résurrecteurs : outre Burton et Clemens donc, de grands noms de l'Histoire (ou même de la Mythologie !) et d'autres moins illustres se feront connaître, mais il faudra d'abord faire face à la perfidité et la malice de certains des plus infâmes potentats que la Terre ait portés.