Second opus du monde du fleuve, ce monde dans lequel l'humanité entière, toutes époques confondues, s'éveille un beau matin, jeune et robuste pour ce qui semble être l'éternité. Pas véritablement une suite du premier opus, en fait, car les protagonistes ont changé. Il faut dire que Farmer, étant donné son pitch, n'a que l'embarras du choix. Exit donc - temporairement sans doute, car il en est parfois fait allusion - Richard Burton, qui était le personnage central du premier tome. De même que son entourage direct. Seul l'inénarrable Hermann Göring, devenu mystique et désormais adepte du peace & love, apparait à nouveau dans cet épisode.
Non, cette fois c'est centré sur Sam Clemens, plus connu sous le pseudonyme de Mark Twain. Dans un épisode qui fait aisément figure de conte philosophique, que l'on pourrait relier à ce qu'on appelle le rêve américain. Pourquoi ? Eh bien parce que Mark Twain à un rêve, qui dépasse à vrai dire tout le reste, c'est de construire un bateau, propulsé par roues à aubes évidemment, puis de l'utiliser pour remonter le fleuve jusqu'à sa source. Pour réaliser ce rêve, il va devoir développer en quelque sorte une industrie, s'approvisionner auprès des contrées voisines en matières premières et pour cela devoir négocier ou faire la guerre avec des minis-états proches de celui qu'il dirige.
Parabole du capitalisme et de l'impérialisme, qui conduit inévitablement à la guerre ? Sans doute, je l'ai en tout cas compris ainsi. Car son bateau, ainsi que les armes qu'il fait fabriquer, vont inévitablement susciter les convoitises de ses voisins. D'où le titre de cette chronique. Car les communautés humaines se sont structurées en états, généralement dirigées par d'anciens monarques, empereurs, figures intellectuelles ou chefs de guerre. Ça nous donne d'ailleurs une mosaïque d'états-nations assez farfelue, avec par exemple une Black Nation inspirée de Malcolm X. Et ça finit inévitablement en baston générale : bien vu, d'autant que sont également fréquemment évoqués les dégâts sur l'environnement causés par ce développement - que l'on peut qualifier d'économique - à marche forcée.
A côté de ça, Mark Twain est évidemment humaniste, à la façon dont peut l'être une figure intellectuelle des États-Unis du dix-neuvième siècle. Il va donc s'inspirer de leur constitution pour créer son état-nation, qu'il met un point d'honneur à doter d'un régime démocratique. Malheureusement pour lui, il a un associé, qui ne partage ni ses valeurs, ni sa vision. Il s'agit du Jean sans Terre, plus connu sous le sobriquet de Prince Jean. Du moins de ceux qui connaissent l'histoire de Robin des Bois, immortalisée dans un fameux dessin animé, à une époque où les studios Walt Disney savaient faire autre chose que des daubes. Pas vraiment un bon gars, ce PJ.
Voilà pour le décor, je n'en dirai pas plus pour ne pas dévoiler plus avant l'intrigue. C'est assez court, ça se lit très facilement, à la fois comme un conte philosophique, voire comme un traité de géopolitique intemporel. Avec pas mal d'action, aussi. Reste que le lecteur n'avance finalement que peu dans la compréhension du dessein ayant consisté à ressusciter l'humanité au bord de ce foutu fleuve, qui reste le fil rouge de cette saga en quatre (voire cinq) volumes. Si des indices sont placés ça et là par Farmer, on est encore loin du compte après la lecture de ce second tome. Et d'ailleurs, ce n'est pas forcément là qu'est le côté le plus sympa de cette série. Il n'empêche que j'ai enchainé dare-dare sur le troisième volume...