Dichotomie démente
Communément antonymes, bonheur et crime s’additionnent ici pour ne former plus qu’un. Jacqueline Harpman le démontre avec subtilité et effroi dans son excellent roman intitulé logiquement : « Le...
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le 27 déc. 2022
Communément antonymes, bonheur et crime s’additionnent ici pour ne former plus qu’un. Jacqueline Harpman le démontre avec subtilité et effroi dans son excellent roman intitulé logiquement : « Le bonheur dans le crime ». Un cadre narratif unique, une dualité déconcertante et des personnages très atteints auront été les clés de son livre. Une soirée très pluvieuse sur Bruxelles, des embouteillages interminables et une voiture qui se retrouve coincée devant une gigantesque maison. LA maison. Pour tuer le temps, le conducteur décide de raconter à son passager-qui s’avère être son amant-l’histoire de cette étrange bâtisse. Celle-ci dans laquelle avait vécu la vieille Emma avec sa petite fille, son beau-fils et leurs quatre enfants. D’apparence heureux, cette famille cachait de vraies horreurs. Tout était relativement calme jusqu’au drame. Le jeune Gaveau se suicida suite à sa cour infructueuse d’Emma, l’une des quatre enfants. La raison était bien sombre car Emma, bien qu’elle ne se l’avoua que plus tard, aimait… son frère de dix mois d’intervalle, Clément. Un amour qui rendit la petite sœur, Delphine, jalouse à un point qu’elle en viola son petit frère, Hyppolyte. Ce dernier s’enfuit des griffes de sa sœur chez les moines tandis que celle-ci se suicida de rage. Les parents, n’ayant rien vu venir, déménagèrent et laissèrent la maison à Clément et Emma, pour leur plus grand bonheur, jusqu’à présent et, cela provoquant la rage du conteur voyant la lumière toujours vive dans la maison. Une injustice totale qui pose une grande question : Comment après tout le mal qu’ils auront fait, Clément et Emma arrivent-ils à vivre dans un bonheur aussi idyllique ? C’est cette question qui ma taraude encore maintenant tant elle remet en question ma conception du bonheur. Ce roman a su avoir le don de me déranger au plus profond de moi-même, déjà par le double inceste (surtout celui des cadets) mais encore par cette atmosphère si… heureuse tous (sauf Delphine) vivent tranquillement leur vie à l’image des aveugles parents. J’ai été plus d’une fois fortement déconcerté et ce jusqu’à la fin avec le clou du spectacle, celui de ce couple de 25 ans d’écart, malsain et en plus comprenant un prêtre…
Tout cela rejoint à la qualité incroyable de ce roman où Harpman sait ce qu’elle veut provoquer et elle le fait parfaitement et c’est pourquoi je retiens cette lecture comme l’une des meilleures que j’ai lues cette année.
Le cadre narratif tient une place prépondérante dans le récit par ses deux narrateurs. Celui omniscient nous racontant le présent dans la voiture et celui du prêtre nous racontant l’histoire familiale des Dutilleul. Le premier est relativement court et sert surtout à interrompre le second. Il maintient le suspense et la tension et cela rend le livre très plaisant à lire. Je l’ai d’ailleurs lu presque d’une traite. La narration du prêtre est évidemment la plus intéressante car elle raconte ce polard familial. L’ingéniosité d’Harpman est ce caractère brouillon qu’elle entretient. Comme c’est un personnage qui raconte, elle se permet de faire des sauts dans le temps, de passer certains évènements et ainsi ne pas tout donner d’un coup pour maintenir ses lecteurs alertes. Cela a fortement marché pour moi.
Ce jeu de narrateur rejoint également un élément prépondérant de l’intrigue : la dualité. Tout dans ce roman est doublé si pas triplé. La maison tout d’abord qui, dans un premier temps, est décrite comme une bâtisse majestueuse, est construite par un riche banquier où la vie y très bon-vivre. Plus tard, cette maison devient presque démoniaque, elle est le berceau du mal, terrifiante et sombre dans la nuit pluvieuse. La thématique de la mort est également doublée. A peine Gaveau s’est-il suicidé que, par réaction en chaîne, Delphine se suicide et plonge sa famille dans une réalité fort différente. L’inceste aussi se voit dédoublé car d’abord représenté par le couple « parfait » Clément/Emma, il en existe son jumeau diabolique qui ne dure que deux nuits: Delphine/Hyppolyte. Enfin, La passation familiale Dutilleul, au rythme des suicides, se voit aussi doublée de manière très explicite par l’arrière grand-mère Emma au passé sombre et sa petite fille du même nom qui se destine à une vie tout aussi, si pas plus, sombre.
Ces mêmes Emma qui font partie d’une famille assez singulière où la psychologie de chacun participe au malaise constant ressenti par le lecteur. La grand-mère, d’abord, qui, bien qu’elle reste en retrait, a une importance majeure, celle de voir et de réfléchir mais par pur égoïsme. Elle n’agit en rien et vit paisiblement ses derniers jours. En terme d’inaction, il y a pire qu’elle, nous avons ce cher prêtre qui aura vu et compris tout le drame mais a-t-il agi, pas du tout ! Et là est l’aspect très dérangeant, c’est que cette famille, malgré l’abomination, a vécu la quasi-totalité de son temps dans le bonheur. A l’image des parents dont la gaieté n’a d’égal que leur cécité. Emma et Clément n’étaient-ils pas évidents ? Harpman nous en laisse des indices dérangeant tout le long du récit à travers les deux bambins dormant collés l’un à l’autre ou bien le beau Clément qu’Emma a « remarqué ». Ils sont tels le mythe de l’androgyne ou réunis ils ne forment plus qu’un et n’ont cure du reste du monde. La seule personne comprenant ce qu’il se passe est Delphine mais, au lieu d’aider, elle ne fait que se victimiser en permanence et cultive sa haine pour ses ainés car ils ont ce qu’elle n’a pas : l’amour. Cela la rend folle, folle à un point de commettre l’irréparable en violant son petit frère. Ce pauvre Hyppolyte qui est la seule personne saine de cette famille à tel point qu’il n’en fait pas vraiment partie. D’un coup, il voit sa vie brisée par sa sœur qui en fait «l’intègre» mais celui-ci refuse, et on le comprend. Finalement, cette maudite famille aura été brisée par un évènement, ce cher Gaveau qui ne demandait qu’une chose : Emma. Mais en la désirant, il s’est frotté à une famille tel un immeuble instable qui s’est effondrée sur lui et l’a tué.
Le Bonheur dans le crime est un roman qui, je pense, me restera en tête un certain temps tant il diffère de ce que j’ai l’habitude de lire. Ses qualités sont indéniables et m’ont fait découvrir une auteure que je connaissais point et de qui j’aurai à coeur de découvrir plus.
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le 27 déc. 2022
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