Nous autres, lecteurs, ne pouvons pas demander du renouveau et de l'originalité à chaque bouquin sorti, ça, c'est vrai. Cela dit, comme le bonhomme, que j'ai connu d'abord sous l'alias Pen of Chaos, avait déjà posé sa marque sur les interwebs français lors du mouvement des saga audio avec Le Donjon de Naheulbeuk, je m'attendais à quelque chose d'au moins rafraîchissant — même dans un autre genre que l'humour rôlisto-fantasy —, quand je suis tombé sur le bouquin.
Eh bien non, pas tellement en fait. Le Bouclier obscur n'a rien à voir avec Neheulbeuk, et ça, c'est dit d'entrée de jeu, sur la quatrième de couv', et dans les premiers chapitres, et sur la page du site de PoC où il présente son roman.
Mon but avec ce livre est de faire découvrir aux gens le courant littéraire "terreur-fantastique", dont beaucoup ignorent l'existence. (Site de PoC.)
Sauf que ça ne prend qu'à moitié. Le fantastique est OK.
[…] c'est avec espoir que je redémarrai l'ordinateur en insérant dans le lecteur une disquette de lancement protégée qui, dans tous les cas, devait lancer l'ordinateur de façon normale. En effet, celui-ci ne lirait pas le disque dur.
Cela n'y fit rien et je crois que j'ai eu vraiment peur. Je regardais le voyant de la disquette qui s'allumait, puis cet horrible menu. Je ne suis pas allé plus loin, j'ai mis hors tension la machine. Alexandre avait compris, car il n'était pas un novice en micro, que l'ordinateur ne pouvait pas lire le disque lorsque la disquette servait au lancement. C'était anormal et terrfiiant. (LBC, p. 31, rééd. Hélios.)
Il est vraiment regrettable que, d'une, John cède à la facilité et se contente, pour le côté terreur, de balancer cet « horrible menu » qui remplace le BIOS par un fenêtre où un choix multiple est proposé dans une font rouge dégoulinante de sang [est-ce que c'était déjà cliché à l'époque ?] et où chaque choix ne fait que jeter au lecteur un cocktail désespérément facile de trucs malsains, du genre un mix entre sexe, violence et tabous sociaux…
Et il est vraiment regrettable — et agaçant — que, de deux, John se sente obligé de nous rappeler constamment via son héros et narrateur que « c'est terrifiant » à chaque fois que quelque chose de vaguement inquiétant ou de véritablement flippant se produit ! Show, don't tell, tout ça tout ça : que le narrateur ait peur, OK ; mais que le lecteur soit constamment rappelé à l'ordre comme ça, non merci.
J'ai commencé la rédaction de ce bouquin en 1996 (ce qui explique également son côté un peu "daté" au niveau des technologies informatiques utilisées...), puis il a traîné aux deux tiers fini pendant trois ans dans un répertoire de mon ordinateur. (Site de PoC.)
Alors John ne faisait-il pas confiance à son lecteur ? Ou n'avait-il pas confiance en lui-même, surtout ? (Puisque Naheulbeuk ne sera lancé que cinq ans après le début de l'écriture du Bouclier.) Alors qu'il y a malgré tout de bonnes idées, au début du roman : ledit « horrible menu » offre des images sordides toujours nouvelles à chaque boot du PC, et les plus tech-savvy laisseront leur imagination s'affoler à l'idée que (1) quelque chose puisse faire rentrer plusieurs gigas de données dans quelques mégas d'esapce de stockage, ou (2) qu'un ordinateur soit capable de lui-même générer autant d'images photoréalistes complexes.
Mais hélas, ce n'est pas ça qui est véritablement terrifiant, non, c'est surtout que le « virus » provienne des archives du Vatican où quelqu'un a scanné un vieux papier perdu dans lequel était emprisonné un démon. C'est les démons qui font peur, avec leurs vastes pouvoirs — qui consistent principalement à se dissimuler puis à tuer des gens de façon trashos quand ils ne peuvent plus — et leur alignement chaotique mauvais… Alors que les démons sont un motif de l'horreur devenu trop has-been pour être utilisé sans un twist intéressant, à mon avis, on retrouve là le stéréotype du démon dont les motivations sont juste d'être méchant et lancer l'apocalypse rien que pour le fun.
Puis après, ça part en quête de la super-arme anti-démon vorpale +5, et il se passe des choses… L'histoire reste accrocheuse si l'on est bon public, je pense. Mais il y a, pour moi, trop d'influence rôliste dans la conception de cette histoire et de son récit. Je pouvais presque entendre les dés rouler quand le protagoniste réussissait ses jets de détection, c'est dire. Et il est vraiment dommage que John ne soit pas parvenu à se détacher de ce passif pour écrire quelque chose de vraiment littéraire : l'argent et le sommeil sont gérés plus qu'ils ne sont racontés, et les démons, la magie divine, les jeteurs de sort manquent d'une touche personnelle dans le traitement…