Ceux qui ont lu mon commentaire sur "Le malade imaginaire" savent que j'ai entamé une croisade pour que donner droit à l'intelligence aux personnages de Molière. Je poursuis ici avec le Bourgeois. et plus tard je m’essayerai à d'autres textes du grand Jean Baptiste, mais pour l'instant je me contenterais de m'interroger sur une seule réplique, celle où au début de la pièce Monsieur Jourdain dis à son maitre de musique et son maitre de ballet qu'il souhaite qu'on intègre de la corne de brume dans le ballet qu'ils lui préparent (et vendent).
Oui la corne brume que Monsieur Jourdain à l'acte 1 exige que son maitre de musique intègre au ballet qu'on lui prépare quelle est la raison de cette exigence ? Illustrer le décalage culturel du Bourgeois ? Sa stupidité? Allons donc c'est négliger beaucoup d'éléments qui ne collent pas à cette explication.
Jourdain n'est pas un homme des cavernes surgissant de l'autre bout du monde et qui comme l'ingénu de Voltaire bouleverse tout par ignorance. C'est un homme très bien intégré dans la société de son époque et son milieu. Il sut non seulement prendre la successions de ses parents mais augmenter sa fortune au point d'être en mesure d’accéder à un niveau sociale supérieur dans la société en intégrant la noblesse. Un changement de condition délicat mais qui n'avait rien d’exceptionnel à l'époque (cf: notamment "La fureur des offices" de R. Mousnier) et qu'il est en mesure d'effectuer de par sa fortune et sa réussite sociale. A condition d'acquérir les codes du corps sociale qu'il ambitionne d'intégrer.
La société de cour de Louis 14 (cf: N. Elias) à l'étiquette à la fois rigide et tatillonne n'est pas un système figé et bloqué il permet l’ascension sociale à condition d'en intégrer les codes (c'est au 18° siècle que le système se bloquera) et d'emprunter la voie désignée par le pouvoir, fortune, contribution à l'état (achat d'offices anoblissant) acquisition des manières de cour.
De celà Jourdain est conscient il doit craindre comme la peste de commettre un faux pas qui ruinerait ses efforts, alors pourquoi exige t-il la corne de brune ?
Parce qu'il aime vraiment le son de la corne de brume ? Mais Jourdain est un parisien et un négociant, il n'est ni breton ni marin. Alors ? On peut supposer que Monsieur Jourdain loin d'être le crétin qu'on croit éprouve le pouvoir qu'il exerce sur ceux qui sont à son service et qui en son absence ne manquent pas d'exercer leur mépris à son égard. Jourdain jouirait d'exercer son pouvoir sur ceux qui sont à son service ? Ça paraitrait cohérent avec la séquence précédente où Jourdain demande à ses valets de lui enfiler et de lui enlever sa robe de chambre.
Oui mais pourquoi durant toute le reste de la pièce Jourdain ne cesse d'être la dupe de ceux qui savent le manipuler en flattant son désir de noblesse?
Hum la question se complique et la corne de brume continue à poser problème. En effet on ne trouve pas dans le Bourgeois gentilhomme des séquences similaires à celles du Malade imaginaire où le personnage d'Argan montre plusieurs fois qu'il n'est pas la dupe des ruses grossières qu'on lui sert.
Alors ?
Il faut sans doute imaginer que Monsieur Jourdain dans l'acquisition de la noblesse cherchait avant tout à acquérir une importance à ses propres yeux. Est-il dupe de la comédie du grand mamamouchi à la fin on peut le croire mais on peut aussi un peu en douter, en fait on peut croire qu'il a envie d'y croire car tel un enfant il se trouve au centre de tous les regards et que même s'il a un doute sur la réalité de ce qu'il vit, le plaisir qu'il éprouve l'emporte sur le soupçon d'imposture qu'il pourrait craindre.
au final Jourdain serait comme l'enfant dans la cour de récréation qui joue au cow boy de tout son cœur tout en sachant qu'il rêve.
C'est cohérent mais cela n'explique pas la présence de cette fichue corne de brume...
Les grands auteurs comme Molière et Shakespeare sont de sacrés enfoirés en nous laissant comme ça, mine de rien, des petits éléments de rien du tout qui bloquent et empêchent toute réduction de leur œuvre à une jolie petite analyse bien ronde et complète.
Y pas à dire pour affronter Molière faut bosser.