Du journalisme au roman: une réussite!
Tom Wolfe, écrivain américain maintenant reconnu, était d'abord journaliste. Déjà il inventa un concept, celui de "Nouveau Journalisme". C'est en 1987, qu'il a écrit ce premier roman: Le bûcher des vanités.
Evidemment, on peut être rebuté par l'épaisseur du bouquin: 922 pages (édition le livre de poche). C'est ce que j'ai fait avec le premier livre que j'ai lu de lui, l'an passé, "un homme, un vrai", que je n'ai ouvert que plusieurs années après l'avoir acheté! Mais là, enthousiasmé par cette première lecture, je n'ai pas hésité, et j'en suis heureux.
Le héros, si l'on peut dire, est Sherman McCoy, financier à Wall Street. Il est spécialiste des obligations. Il est marié avec une femme sans caractère, Judy, décoratrice (dans le luxe bien sûr) que l'approche de la quarantaine rend moins attirante aux yeux de notre "maître de l'univers" (c'est ainsi que se nomment entre eux les as de Wall Street). Il habite une maison luxueuse et vaste. Tout l'univers de Sherman se réduit à l'argent. De façon réitérée, Wolfe décrit les choses en en précisant le coût en dollars. Notre as de la finance a donc pris une jeune et belle maîtresse, plus "bandante", mariée à un riche et vieil entrepreneur, qui mourra, à 70 ans, au cour du récit.
Malheureusement, au cours d'une soirée, en compagnie de sa délicieuse compagne, il renverse un jeune noir avec sa magnifique Mercédès. Il prend la fuite. Le jeune noir, H. Lamb, va tomber dans un coma irréversible puis décéder. Un journaliste d'un journal à sensations, le City Light, mène l'enquête en réalisant des articles démagogiques, mais vendeurs. La justice s'en mêle, bien sûr. C'est l'occasion pour Tom Wolfe de décrire chaque protagoniste, procureur, avocat, juge, policiers avec une précision et une acidité vraiment étonnantes. Il faut savoir que Wolfe écrit ses livres après des années d'enquête et qu'ainsi ses oeuvres, dont le côté romanesque est évident, gardent à la fois la marque de sa formation de journaliste d'investigation et révèlent une certaine talent de sociologue.
Certes, ce gros livre est un ouvrage sur New-York, ses lieux troubles, ses injustices (entre riches et pauvres, entre noirs et blancs), ses connivences entre pouvoir, argent et politique. Mais c'est aussi, à mon sens, une étude critique de moeurs à la Balzac. J'ai particulièrement apprécié, à ce titre, le chapitre 15 (le masque de la mort rouge) qui, en quarante pages, décrit d'une façon acerbe comment se passe une soirée entre deux douzaines d'invités, "entre riches", chez les "Bavardage". C'est un véritable régal, un morceau d'anthologie. Si l'épaisseur du livre vous fait peur, lisez au moins ce chapitre, comme une nouvelle.
Cela commence par la description de l'arrivée des voitures, avec chauffeur (36000 $ par an pour un bon chauffeur). Puis est décrit le hall d'entrée "grandiose et solennel". A l'apéritif, ll se forme de petits groupes, parmi lesquels certaines femmes, bavardes et superficielles, "les rayons X" circulent, avec avidité. On entend les rires que Wolfe définit par onomatopées: "hack, hack, hack, ... ho, ho, ho...hé, hé, hé etc. La salle à manger, où deux tables rondes réunissent les convives, "est un triomphe de réflexions nocturnes, une des nombreuses victoires de Ronald Vine, dont le point fort était la création de reflets sans utiliser de miroirs". Viennent ensuite les descriptions des voisins et voisines de table, l'insipidité des conversations, la teneur des plats. Enfin, il y a les discours ridicules de fin de repas et le retour dans les limousines.
Dans ce chapitre où Tom Wolfe est au mieux de sa forme, par la forme et le fond, je retrouve des similitudes avec la causticité d'un Thomas Bernhard, qui, dans Extinction, évoque ses "soeurs au visage moqueur". Mais Tom Wolfe n'est pas un écrivain engagé. Il développe un sens de la dérision exacerbé qui donne du sel à son livre.
En conclusion, j'ai beaucoup aimé ce livre, qui se lit presque comme un policier, tout en à présentant une critique élaborée d'une société et d'une époque. Par rapport à "un homme, un vrai" écrit en 1998, dans la même veine, je regrette un peu que l'auteur n'aie pas voulu nous rendre son héros attachant...
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