Le pêcheur Katsuro du petit village de Shimae est chargé de pêcher, choisir et apporter les carpes qui nageront dans les bassins de la ville impériale de Heiankyo. A sa mort, sa femme Miyuki décide de le remplacer pour porter ses dernières carpes au palais royal. Elle se pare de la lourde palanche à laquelle sont suspendus ses paniers à poissons et entreprend un long périple à travers forêts et montagnes. Au bout du chemin, l'attend Nagusa Watanabe, le directeur du Bureau des Jardins et des Etangs, en charge de l'entretien des plans d'eau des temples de Heiankyo.
L'auteur s'est nourri d'une documentation très approfondie de ce Japon du XIIème siècle, si bien qu'il parvient non seulement à nous faire voir cette époque, à nous plonger dans ses ramifications, mais il sait aussi s'en éloigner pour offrir un roman fascinant mâtiné d'érotisme et d'un univers onirique surprenant. Les aventures de la jeune Miyuki ne sont que prétexte pour évoquer un monde sensuel, dans lequel l'imagination tient le rôle principal.
Ainsi, le takimono awase, jeu de l'époque dans lequel les participants en compétition doivent obtenir le meilleur parfum à base d'encens est prétexte au déploiement splendide de l'imagination par les sens. L'empereur imagine un paysage auquel devra répondre le parfum créé par les participants :
"Nous imaginons un jardin, dit l'empereur, un jardin envahi par la brume matinale. Enjambant un cours d'eau, un pont-lune très escarpé relie le jardin de droite au jardin de gauche. Seule la partie surélevée du tablier émerge de la nuée. C'est alors que, surgissant du brouillard qui noie le jardin de droite, une demoiselle s'engage sur le pont. Elle marche vite. Parvenue au sommet du dos d'âne, elle s'arrête un cours instant. Puis, reprenant sa course, la voici qui dévale le pont pour rejoindre le jardin de gauche. Et aussi soudainement qu'elle avait éclos de la brume de droite, elle disparait dans la brume de gauche. Si je vais dans son sillage tout en haut du pont, qu'y trouverai-je ?"
Dans ce Japon fantasmé, les sens jouent un rôle essentiel, comme une porte vers la connaissance de soi et du monde...
"Quelle connaissance profonde avons-nous des odeurs ? Nous disons que ça sent bon ou que ça empeste, et nous n'allons pas plus loin. Au fond, nous n'en savons guère plus sur la suavité et sur la puanteur que sur le Bien et le mal. Nous traversons la vie en sautillant d'une ignorance à l'autre. Des crapauds, Atsuhito, nous sommes des crapauds."
Avec délicatesse et sensualité, Didier Decoin nous emporte dans un autre monde pour faire chanter nos sens et nous enchanter...

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le 10 janv. 2018

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