Pratique du pouvoir en terre d’islam

En universitaire sérieux, Nabil Mouline publie une étude passionnante sur les origines du califat, un sujet méconnu mais dont la résurrection surprise a rendu l’"actualité" brûlante.


Mohamed meurt en 637 sans avoir désigné d’héritier, ni même proposé de mode de succession. Pis, le "Sceau des prophètes" ne saurait avoir de successeur. Ses onze femmes lui ont donné quatre filles, mais seule Fatima offrira une postérité à Alî. Le Prophète laisse des gendres, des cousins et des compagnons qui, endogamie aidant, cumulent les titres. Ainsi, Alî est gendre, cousin et compagnon d’armes. Les proches du défunt se réunissent en conseil (al-shûrâ) et cooptent l’un d’entre eux. Ils désigneront ainsi les quatre premiers califes : Abu Bakr, Omar, Uthman et Alî, qui créeront, de fait, le califat, avec son administration, son armée permanente, le Coran écrit, le ramadan, un calendrier, le statut de dhimmi des vaincus non convertis... Uthman et Ali sont assassinés… Bien que considérée depuis comme bénie car « bien dirigée », la première communauté (oumma) ne fut donc pas épargnée par les guerres civiles (fitna). Entretemps, l’Islam a conquis un titanesque empire. Les califes ont relevé les codes impériaux des vaincus sassanides et byzantins ; palais, cour, étiquette et titulature royale : commandeur des croyants (amīr al-mu‘minīn), gardien de la charge divine, autorité, ombre ou berger de Dieu ; et succombé à la tentation dynastique. Omeyades (13 califes) et Abassides (37 et 16 califes) descendent d’oncles de Mohamed. La tradition adelphique, qui fait de tout mâle du clan un calife potentiel, complique la donne : une seule règle, que le meilleur gagne ! Déconsidérés par les querelles de succession, les califes abbassides perdront la main ; pas moins de quatorze d’entre eux seront renversés ; abandonnant l’exercice réel du pouvoir aux sultans et vizirs, pour ne conserver qu’une primauté d’honneur.


Leur déclin coïncide avec l’émergence de la classe des oulémas, des docteurs de la loi, qui progressivement vont s’imposer comme légistes et gardiens de la tradition. Ils s’arrogent le privilège, à partir de l’interprétation du Coran, de la tradition (sunna) et des hadiths, de fixer la loi et de séparer le licite de l’illicite. Il ne s’agit certes pas de distinguer le pouvoir politique du religieux, l’Islam est une théocratie absolutiste (un dieu, une communauté, un calife), mais d’une répartition des rôles. Comment les oulémas sunnites envisagent-ils le rôle du calife ? Il doit être bon musulman, fort et qurayshite, c’est à dire mecquois et donc descendant d’Abraham par Ismaël. Afin de préserver l’oumma de la division, le musulman lui obéira en toute situation, quelles que soient ses qualités morales, quitte à prier pour qu’Allah le guide. Dieu la voulu ainsi.


La dernière partie consacrée à la période contemporaine est moins convaincante, car trop courte. Je reprends néanmoins sa conclusion : le phénomène du califat actuel " ne peut se comprendre en dehors de sa dimension religieuse. Celle-ci devrait être, plus que jamais, prise au sérieux, la croyante étant dans un monde musulman qui peine à franchir le Rubicon de la modernité, un moteur de l’action. "

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le 27 mars 2016

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Step de Boisse

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