Livre à vendre

Bon nombre de mes camarades sont communistes mais je ne l'ai jamais été moi-même. Il fallait sans doute les pages admirables de Jean François Billeter pour placer ce petit livre dans les mains si délicates de votre serviteur qu'aucun ne jugera qu'elles appartiennent à un ouvrier. Le sinologue rougit. Il se dit tributaire de la description de la société marchande (ou du monde capitaliste moderne) que Karl Marx donna dans Le Caractère fétiche de la marchandise et son secret. Reprenant ses idées, il montre par une vertigineuse chronologie, remontant jusqu'aux origines d'Homo sapiens, que notre société actuelle, dans laquelle il faut se vendre - se faire marchandise - pour survivre n'est pas le fin mot de l'Histoire. Qu'une telle société n'est qu'un accident et qu'il faut reprendre la route en tenant le volant. La production démesurée de biens (que nous pouvons juger mauvais), l'oubli de notre finitude, l'endormissement de nos capacités vitales et de notre élan vers l'Individu, la soumission du social à l'économie, le règne des plus riches, l'achat de l'éthique et la bien-pensance générale, l'élévation du rationnel à la divinité, sont autant de symptômes d'une société plus moisie que cramoisie. Karl Marx résume cela en une phrase : "Des formes, qui manifestent au premier coup d'œil qu'elles appartiennent à une période sociale dans laquelle la production et ses rapports régissent l'homme au lieu d'être régi par lui, paraissent à sa conscience bourgeoise une nécessité tout aussi naturelle que le travail productif lui-même."

Vivant depuis six mois en République Populaire de Chine, salarié sous un régime qui se dit communiste, lire un peu Karl Marx était une bonne idée. Rire un peu en constatant à quel point la Chine moderne s'est détournée de ses idéaux communistes. La plupart de mes amis Chinois sont éduqués - jeunes chercheurs ou ingénieurs (on n'échappe pas à sa classe social dira Bourdieu). Ils n'ont pour la plupart jamais entendu parler de Karl Marx. Si j'interroge à son sujet un membre du PCC, j'obtiens invariablement un regard perdu. Dans un film de Godard, La Chinoise il me semble, un étudiant interrogé par un policier prétend s'appeler Karl Marx. Le policier ne réagit même pas. Nous y sommes.

Que ceux qui aspirent à une société Française aussi proche du rêve marxiste que l'est la Chine de Xi se rassurent, ils peuvent toujours amener Jean-Luc Mélenchon au pouvoir.