Le Cercle
6.9
Le Cercle

livre de Dave Eggers (2013)

De retour avec un roman dystopique, cette fois sur le thème des réseaux sociaux et de notre visibilité personnelle sur le Net. Et Dave Eggers vise juste, en trouvant un équilibre entre le crédible et l'inquiétant.
En suivant Mae, jeune campagnarde fraîchement embauchée, on découvre un gigantesque campus dédié aux salariés du Cercle, lieu de travail idyllique où tout le monde est souriant et attentionné, où les supérieurs sont soucieux du bien-être de leurs subordonnés, où tout, enfin, est fait pour que vous vous sentiez accueillis à bras ouverts. Tout y est parfait : l'endroit dispose de toutes les installations dont un campus étudiant peut rêver, toutes les personnes que l'on y rencontre sont bienveillantes. Puis mot après mot, page après page, cette bienveillance devient malsaine, tourne en un culte de l'apparence, du propre, du lisse, dont les effets sur les individus sont incroyablement violents.
A cette fixation sur l'apparence se mêle la nécessité d'être toujours connecté, toujours en ligne, toujours actif sur le réseau, avec comme indicateur le « rang », qui devient vite une obsession de Mae. Un jour à peine où vous ne likez rien, ne partagez rien, et c'est toute la société qui vous regardera avec méfiance, tout cela au nom de la « transparence » : si l'on a rien à se reprocher, pourquoi le cacher ? Et aussitôt dit, voilà que l'on convoque les droits de l'homme, le droit de chacun à savoir. « Tout ce qui se produit doit être su. » Et ce, jusqu'à l'avènement de nouvelles technologies, qui poussent la transparence à son paroxysme, jusqu'à devenir réellement inquiétant.
Cependant, si les thèmes abordés visent juste, le roman comporte des lourdeurs qui vous feront lever les yeux au ciel, ou du moins feront naître en vous un sentiment d'agacement envers l'héroïne.
Mae réussit à enchaîner les mauvaises décisions, qui, bien qu'ils la mènent à une popularité époustouflante et un poste clé dans la société – inventé par et pour elle – vous feront vous demander comment une personne censée peut tenir ce genre de discours. Et peu à peu, on en vient à se détacher de Mae, de ce personnage caricatural dans son aliénation par les réseaux sociaux, qui ne semble pas avoir pour deux sous de sens critique. Les autres personnages sont également assez grossièrement travaillés, à peine moins caricaturaux, ce qui fait que l'on s'y attache finalement très peu.
Elle se retrouve, en plus de cela, au centre d'un triangle amoureux – presque un carré en réalité : la jeune demoiselle n'arrive pas à choisir entre l'inconnu ténébreux, qui vient telle une ombre lui offrir les plaisirs de la chair et repart sans lui laisser ne serait-ce qu'un nom, et le geek timide avec quelques problèmes de… rapidité. Sans compter l'ex et ami de la famille, qui refuse toute utilisation des réseaux. Et bien sûr, pour ne rien gâcher, il fallait la décrire dans les bras de l'un et de l'autre. Les scènes érotiques, bien qu'elles soient bien écrites, n'apportent pas grand-chose ni à l'intrigue, ni aux thèmes abordés, si ce n'est expliquer que Mae choisira son compagnon en fonction de ses performances au lit.
L'énigme de l'inconnu ténébreux occupera Mae pendant une très grande partie du récit et tente d'installer une part de mystère, jusqu'à un retournement de situation que tout un chacun aura prédit depuis bien longtemps.
Quant à l'écriture, vous ne serez pas absolument chamboulés par le style, mais il reste très agréable à lire, avec des passages intéressants qui rendent bien l'aspect immédiat et sans répit des réseaux.
Et pourtant, malgré des lourdeurs, des personnages peu attachants, cette entreprise idéale et effrayante nous tient en haleine jusqu'au bout, on veut savoir jusqu'où cette société ira au nom de la transparence. On y retrouve une version plus douce du 1984 d'Orwell, où la coercition se fait non pas par une milice, mais par la pression des autres et cette politique de la bienveillance, du toujours gentil et enjoué.

HenriMesquidaJr
6
Écrit par

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le 13 juin 2017

Critique lue 923 fois

HENRI MESQUIDA

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