Le mieux est l'ennemi du bien.
Imaginez. Imaginez un monde où un génie de l'informatique un peu solitaire créerait un concept informatique de premier plan qui permettrait de regrouper l'intégralité des applications numériques en une seule. Imaginez que les données puissent être compulsées à l'infini, que les personnes connectées puissent donner leur avis en permanence, noter ce qui leur plaît ou pas, observer le monde et ses habitants par le truchement de millions de caméras.
He bien c'est le monde imaginé par Dave Eggers dans son roman Le Cercle.
La transparence absolue, ne plus rien pouvoir dissimuler : finis les délits, les crimes, les pensées qui n'entrent pas dans la norme. Le règne du politiquement correct enfin hégémonique.
Heureusement, cette histoire est purement fictive et tout élément ressemblant à notre réalité serait, à n'en point douter, purement fortuit.
Mae Holland, jeune femme brillante et ambitieuse, parvient à entrer dans la plus prestigieuse entreprise du monde, Le Cercle. Ici, tous ces jeunes gens sont choyés : conditions de travail optimales avec salles de sports, cafétarias, médecine du travail au top, équipement pléthorique sur cet espace qui s'appelle le campus. Tout un programme. Bon, il faut tout de même abattre du boulot sur son écran, puis deux, trois... Mae trouve tout cela tellement gratifiant. Tout son travail est mesuré, analysé par ses supérieurs. Mais obtenir d'excellents scores professionnels ne suffit pas, il lui faut participer pleinement à la communauté, cette implication étant également bien entendu mesurée. Partager des expériences, zinguer (liker), est un devoir au sein de l'entreprise... et bientôt du monde. Mais la transparence prônée par cette entreprise quasi philanthropique, si l'on en croît ses fondateurs (les sages), connaîtra t'elle des limites ? Le monde entier va bientôt le découvrir...
La littérature de s-f a déjà exploré un monde où la technologie devient omniprésente, pour ne pas dire omnisciente. Les régimes totalitaires de la bien-pensance sont légions dans les dystopies littéraires. Dave Eggers aborde ce thème de façon très accessible et le lecteur n'a même pas l'impression d'être dans un récit de science-fiction, tant les éléments présentés semblent réalistes voire déjà installés dans notre monde pour nombre d'entre eux. Il aborde le sujet par le prisme d'une jeune employée modèle très impliquée et les couches de contrôle de la société s'ajoutent progressivement, faisant frissonner le lecteur, contrairement à cette jeune naïve. Si aucune surprise de taille ne vient émailler le récit, celui-ci se révèle néanmoins captivant, tant la machine à broyer, prétrie de bonnes intentions, avance une inexorabilité effrayante. Le terme demeure ouvert jusqu'à à la fin de la seconde partie du roman. L'épilogue (la partie trois du roman constituée de seulement 3 pages) est à cet égard parfaitement réussie.
Avec un style fluide et efficace, l'auteur brosse le portrait d'un avenir plausible, si l'effondrement climatique lui laisse le temps d'advenir.
L'Enfer est pavé de bonnes intentions.