Dès son premier roman, Un ciel rouge, le matin, Paul Lynch a impressionné par la puissance de son intrigue et de son style. Le sentiment s'est trouvé confirmé à chacun de ses romans et, aujourd'hui, avec Le chant du prophète, il atteint une sorte de point de suffocante apogée, dans une dystopie, hélas crédible, qui questionne l'avenir de nos démocraties. Cela s'est déjà passé hier , en Amérique latine, par exemple, ou a lieu de nos jours, loin de nos frontières, mais la menace se précise de plus en plus en Europe. On connaît le processus : un parti populiste et nationaliste au pouvoir, la restriction des libertés, les arrestations en masse, les pénuries de vivres ... La force implacable du roman se situe sur deux niveaux : sur celui de l'écriture, d'abord ramassée, cinglante, épaisse, qui emprisonne les dialogues et ignore les paragraphes. L'immersion est totale, l'apnée insoutenable, l'apocalypse est pour maintenant. Sur celui du regard, ensuite, avec le choix de Lynch de focaliser son attention sur une famille "normale" de Dublin, avec la mère en figure de proue, impuissante devant la montée des périls et qui doit pourtant protéger les siens, dans une atmosphère délétère, avec la guerre civile qui éclate. Ce livre est irrespirable de bout en bout, dans un crescendo effrayant, bien que l'on sente bien que l'auteur ne cherche pas à en rajouter dans l'horreur. Inutile de préciser que la fin du livre est une libération, tout en restant un avertissement sans frais au regard des dérives qui, dans peu de temps, pourraient advenir, dans des sociétés fatiguées, chez nous aussi, qui se jetteraient dans les bras de forces obscures, cyniques et déterminées, cachées sous le manteau de promesses démagogiques et illusoires.