Jamais un roman de Robert Margerit ne m'a jusqu'à présent déçue, et "Le château des Bois Noirs" ne fait pas exception à cette règle. Choisi par impulsion (et intuition) sur les rayonnages de ma libraire, ce récit m'a transportée dans un huis-clos de plus en plus oppressant au cœur de la campagne auvergnate.
La Vergnière est la demeure familiale séculaire des Dupin. Sertie dans la forêt et la campagne d'un milieu montagnard à l'histoire et aux traditions ancestrales ; forêt et campagne aux charmes tour à tour enchanteurs ou inquiétants selon la saison et l'état d'esprit de ceux qui les subissent.
Nous sommes dans les années 50. Hélène, Parisienne trentenaire ayant toujours évolué dans un milieu aisé et futile, y débarque dans les bagages de son mari Gustave, maître de La Vergnière. En recherche d'authenticité et décidée à s'investir complètement dans son mariage de convenance, elle ne peut toutefois s'empêcher de rapidement craindre l'existence dans ce coin reculé, isolé du monde, et dans cette demeure où son mari - un parfait étranger finalement - se révèle apathique et égoïste. Aux côtés d'une belle-mère bienveillante, Hélène voit défiler les jours sans aucun but, sans aucune joie, dans un lent déclin, jusqu'à l'arrivée de Fabien, le fils puîné.
Robert Margerit est un formidable artisan des mots. Non seulement la structure de ses romans est impeccable (ce qui lui vaudra notamment en 1963 le Grand Prix du roman de l'Académie française pour son incomparable "Révolution") mais en plus il atteint une telle justesse dans l'analyse psychologique de ses personnages que l'on est immergé tout entier dans une atmosphère, un sentiment d'appartenance, avec un soupçon de voyeurisme, qui rend palpable la tension, le malaise épais qu'il installe page après page jusqu'à l'aboutissement du drame.
Comme son titre l'indique, "Le château des Bois Noirs" est un roman noir, d'autant plus noir qu'il se déroule sous le grand soleil d'un été auvergnat, dans le parc et entre les murs d'une maison bourgeoise prometteurs d'une vie privilégiée. Le drame sentimental et passionnel qui se tisse entre les trois principaux protagonistes est échafaudé avec la redoutable efficacité et la complexité pleine de beauté naturelle d'une toile d'araignée, bijou délicat constellé de rosée qui se révèlera, comme on le sait, être un piège fatal.
Robert Margerit est né à Brive, en Corrèze, ville littéraire s'il en est ! Très attaché à la terre, au terroir, il met à l'honneur la province et se sert de ses atouts et de ses désagréments pour en faire le cadre idéal à un sombre thriller psychologique qui n'est pas sans rappeler "Rebecca" de Daphné du Maurier. A la poésie de la langue parfaitement maîtrisée s'ajoute la puissance évocatrice et quasi cinématographique des scènes jouées.