Le Chef-d'œuvre inconnu par BibliOrnitho
1612, Paris. Nicolas Poussin a 18 ans et est encore inconnu. Se rendant chez François Porbus, il assiste à une magistrale critique de la peinture de la part de Maître Frenhofer. Tout en admirant la toile de Porbus, le vieux peintre – seul élève formé par Mabuse – s’applique à améliorer la femme peinte par son ami. Car bien qu’elle soit parfaitement exécutée, elle n’est qu’une représentation. Elle ne possède en effet aucune âme, aucune vie, aucune vérité. Pour Frenhofer, le travail du peintre va bien au-delà de la simple copie. Ce dernier doit glisser dans son travail du sentiment, de la poésie.
La leçon fait impression.
Frenhofer aborde ensuite son propre travail et évoque sa Belle Noiseuse sur laquelle il planche depuis dix ans sans parvenir à un résultat satisfaisant faute de trouver un modèle à sa convenance. C’est alors que Poussin pense à sa fiancée, magnifique. Après les hésitations de l’amant désireux de garder son trésor pour lui seul (la femme n’étant plus alors qu’une possession patrimoniale comme une autre), il présente la demoiselle au vieux maître. Celui-ci est enthousiaste et achève enfin sa toile qu’il présente aussitôt à ses deux compagnons.
La folie (ou la profonde innovation d'un peintre incompris ?) de l’homme éclate alors au grand jour. A force d’ajouter des couches et de corriger sa peinture, l’œuvre est devenu une immense cacophonie de couleurs de laquelle ne ressort qu’un pied (au demeurant somptueux). La consternation de Porbus et de Poussin ramène le vieillard à la réalité. Car il est véritablement tombé amoureux de sa femme peinte, travaillant à ses courbes avec une passion charnelle, ne pouvant la dévoiler à personne sans l’avilir ou la trahir Et c’est à mon sens le pendant de la femme objet de Poussin : la représentation étant traitée avec plus d’égard et davantage de pudeur que le modèle lui-même.
Frenhofer voit maintenant sa toile avec les mêmes yeux que ses amis. C’est pour lui un anéantissement. Il vient brutalement de perdre son amour. C’est pourquoi il choisit de mettre fin à ses jours après avoir brûlé ses toiles.