Se créer Liberté
Barbey d'Aurevilly me met toujours en joie. Je ne sais pas si cela est dû à son prodigieux talent de portraitiste ou aux sujets de ses romans, qui baignent dans les brumes gothiques d'un autre...
Par
le 12 nov. 2015
3 j'aime
Barbey d'Aurévilly consacre ce court roman à un héros de la chouannerie. Le livre est dédié à son père. Le roman est découpé en neuf chapitres, d'une vingtaine de pages chacun. Les trois premiers posent la situation d'énonciation : un demi-siècle aux événements, un groupe de vieillards se rappellent les faits.
A Valognes, les survivants de la noblesse mènent une vie étriquée. Nous voici de nuit, dans le salon des deux vieilles filles Touffedelys, hanté de tableaux poussiéreux et de spectres et leur frère, l'abbé de Percy. Enfin le baron Hylas de Fierdrap, un chasseur. L'abbé croit avoir vu dans la rue, avant d'entrer, l'ombre du Chevalier des Touches (chap. 1). La nouvelle fait sensation, car c'était un héros de la chouannerie. Ils attendent l'arrivée d'une personne pour évoquer ces souvenirs (chap. 2). Arrive Aimée de Spens, une vieille femme restée jeune fille qui semble avoir connu un destin tragique et qui est sourde, accompagnée de Mme Sainte de Percy, une vieille fille hommasse, qui prétend avoir été témoin direct de la jeunesse du chevalier des Touches et accepte d'en faire le récit (chap. 3).
Après la fin de la guerre de Vendée, fin 1799, un groupe de douze jeunes hommes échoue au château des Touffedelys, où ne restent que des femmes.Le chevalier des Touches est une légende vivante, défiant les patrouilles maritimes pour passer des messages entre France et Angleterre, où la plupart des nobles se sont réfugiés. sur les douze, onze sont amoureux d'Aimée, alors présente au château. Elle est émue par un jeune officier, connu comme monsieur Jacques, gravement blessé. Des Touches finit par être pris et emmené à la prison d'Avranches, pour être exécuté (chap. 4).
La conteuse détaille le nom des douze (dont Vinel-Aunis, un blagueur) qui se réunissent pour le faire évader. Ils se déguisent en blatiers (marchands de blé). De leur château, les femmes voient une lueur d'incendie. La conteuse rapporte les détails qu'elle en a eus : la prison d'Avranches est constituée de deux tours, non loin de la place du marché, à l'époque remplie par une foire. La porte est défendue par une vieille harpie dont la famille a été tuée par les Chouans. Vinel-Aunis essaie de la saouler, mais elle tient mieux l'alcool que lui. Elle le démasque et se réfugie dans la tour. Pour faire diversion, les autres déclenchent une émeute sur le foirail. Vinel-Aunis reste sur le carreau. Les hommes se replient sur le château. Mme Touffedelys va, déguisée, chercher des nouvelles le lendemain. Des Touches a été transféré à Coutances (chap. 5).
Les onze se remplument, et sont de très bonne humeur. Monsieur Jacques se marie de manière improvisée avec Aimée et promet de revenir. Saintes de Percy décide de prendre part à la 2e expédition (chap. 6). Le plan de celle-ci est simple : foncer dans le tas. Le groupe traverse les rues de nuit, poignardent la 1e sentinelle en silence, obtiennent les clés du geôlier qui allait se coucher, délivrent Des Touches, solidement enchaîné. La troupe file sous les balles, et monsieur Jacques est abattu. Elle se cache dans un bateau à blé. Un passant, Couyart (plus tard familier des demoiselles Touffedelys), est réquisitionné pour briser les chaînes du fugitif (chap. 7). Avant de rentrer, Des Touches demande à aller au moulin bleu. Le meunier est celui qui l'a vendu aux "Bleus" : Des Touches arrête l'aile du moulin, y lie le traître, relance les ailes, puis l'aligne d'un coup de fusil (chap. 8).
Sans se reposer, Des Touches déterre sur la plage son bateau caché dans le sable et reprend ses missions. Elle rapporte cependant une énigme : pourquoi Aimée de Spens a-t-elle rougie en apprenant que Des Touches était délivré ? L'auditoire spécule sur une improbable liaison, tant Des Touches était un homme de devoir. Le narrateur finit par rencontrer l'homme, dans un hospice. Sa raison a fondu devant l'âge. Dans un éclair de lucidité, il raconte qu'Aimée de Spens lui avait sauvé la vie, une fois : alors que des Bleus cernaient la maison où elle vivait et où Destouches s'était réfugié, elle les avaient découragé de venir fouiller en se déshabillant naturellement et en se couchant, comme si aucun homme n'était présent dans la maison. La rougeur pourrait trouver ici une explication.
Le chevalier des Touches veut visiblement narrer sur le mode épique un épisode de la chouannerie. Barbey d'Aurevilly avait rencontré l'homme à l'origine de l'histoire, mais il ne faut pas attendre de lui une grande rigueur historique, plutôt une certaine force de suggestion. A noter qu'il lui fallut plus de dix ans pour boucler cet ouvrage assez court, qui sans être déplaisant, n'est pas sa contribution la plus réussie à notre littérature.
Au niveau du rythme, il y a des choses à dire : le roman a été conçu comme un feuilleton, et ça se voir : chaque chapitre se termine sur un cliffhanger. Et l'action met du temps à décoller. Barbey d'Aurévilly a voulu commencer par une représentation de survivants vieux, radotants, qui évoquent une histoire que tous connaissent bien pour meubler une soirée. Cela confère au début une ambiance particulière, mais le chapitre 2 n'en demeure pas moins un peu long, à entendre ces vieillards se houspiller inutilement. Le portrait de ces nobles, assimilé à des oiseaux dépenaillés, n'en est pas moins assez drôle et suggestif. Il pose cette ambiance particulière : la narration est souvent interrompue par les commentaires de l'assistance, renforçant l'atmosphère de veillée au coin du feu.
Il y a de jolis détails véristes dans le récit de chouannerie, comme cette croix faite de deux épées croisées, ou certains détails des tentatives d'évasion.
Le ton change donc en cours d'ouvrage : le début montre la décrépitude irréversible des survivants de la chouannerie, rejetés dans l'écume de l'histoire, tandis que le récit de l'évasion de Des Touches passe dans un registre épique, célébrant un héros aux qualités quasi-surhumaines, et aidé par une troupe de jeunes inconscients, joyeux et sans peur.
C'est flamboyant par moment, mais le rythme est un peu inégal, et certains éléments posés ne sont pas repris par la suite. C'est sans doute dû au format un peu bâtard choisi : on est pile entre la nouvelle et le roman à part entière.
Créée
le 30 août 2017
Critique lue 1K fois
D'autres avis sur Le Chevalier des Touches
Barbey d'Aurevilly me met toujours en joie. Je ne sais pas si cela est dû à son prodigieux talent de portraitiste ou aux sujets de ses romans, qui baignent dans les brumes gothiques d'un autre...
Par
le 12 nov. 2015
3 j'aime
Barbey d'Aurévilly consacre ce court roman à un héros de la chouannerie. Le livre est dédié à son père. Le roman est découpé en neuf chapitres, d'une vingtaine de pages chacun. Les trois premiers...
Par
le 30 août 2017
Du même critique
C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...
Par
le 6 sept. 2013
57 j'aime
10
Milieu des années 1970 dans la banlieue de Seattle. Un mal qui se transmet par les relations sexuelles gagne les jeunes, mais c'est un sujet tabou. Il fait naître des difformités diverses et...
Par
le 24 nov. 2013
43 j'aime
6
"Crossed" est une chronique péchue, au montage saccadé, dans laquelle Karim Debbache, un vidéaste professionnel et sympa, parle à toute vitesse de films qui ont trait au jeu vidéo. Cette chronique a...
Par
le 4 mai 2014
42 j'aime
60