Le Chevalier et la Mort est un court roman de l'écrivain sicilien Leonardo Sciascia, qu'il a publié à la fin des années 80 alors qu'il se savait condamné par un cancer incurable.
Le bref récit consiste en une sorte d'ébauche de roman policier, qui raconte la dernière enquête d'un adjoint de police fatigué par la vie dont la principale occupation réside dans la contemplation d'une gravure de Dürer – qui donne son titre au roman – ornant le mur de son bureau. Un assassinat va le conduire à enquêter sur le baron local de l'industrie, que tout le monde surnomme « le président » avec cette déférence teintée d'euphémisme typique de l'Italie du Sud en proie au phénomène mafieux, tandis qu'une mystérieuse organisation révolutionnaire nommée « les Enfants de 89 » pointe le bout de son nez.
Le roman commence très platement, dans un pastiche de policier reconnaissable à la mise en place des éléments de base d'une intrigue, dans laquelle surnagent déjà quelques éléments discordants comme une certaine érudition affleurante du narrateur (le roman est écrit en troisième personne focalisée) et une ironie couvée. Au fil des quelques rencontres de témoins et des discussions comiques qui se tiennent avec son chef, la personnalité épuisée et bibliophile de l'adjoint va s'affirmer de plus en plus (mais assez imperceptiblement dans le basculement) alors que le policier comprend immédiatement que toute enquête sérieuse sur le Président sera impossible et qu'il sent ses toutes dernières forces l'abandonner face à cet ultime et dérisoire tour de piste.
Sciascia livre avec ce Chevalier un récit modeste mais très efficace, qui n'utilise guère que des motifs bien connus mais qui sait les composer dans un patchwork personnel assez triste, assez gris, assez désespérant face à l'irréversibilité d'une société mise en coupe réglée par les possédants déterminés à utiliser tous les moyens à leur disposition, même les moins recommandables, pour le demeurer.
Il y a un côté 60s et nécrosé d'une Italie moisie qui a quelque chose d'extrêmement cinématographique, jusque dans son propos social qui reste constamment en sous-texte discret sans jamais vraiment percer la membrane autrement que dans les réflexions désabusées partagées par l'adjoint à son chef qui constitue un bon exemple de clown blanc. Si on ajoute à la formule une évidente francophilie et un goût général pour la littérature et l'art très perceptibles dans la plume de Sciascia, on obtient un bon petit roman de crise existentielle pseudo-polar, pas follement original dans son montage mais vraiment agréable et efficace dans son exécution.
Du bon boulot.
PS : l'ekphrasis centrale de la gravure de Dürer, un peu attendue quand on ouvre le bouquin, est très chouette.