Le corps et le coeur des femmes
J'ai découvert ce livre sur madmoizelle.com qui y avait consacré une chronique vidéo, et on me l'a offert providentiellement pour Noël. Mymy a raison, ce livre doit être lu par toutes les femmes, tous les hommes, tous les médecins, tous les patients, car il parle des femmes, de leurs problèmes intimes, parfois de leurs drames, et surtout de la relation corps médical / patients. C'est un livre féministe (oui !), mais plus que ça encore, humaniste. Il montre combien le pouvoir des médecins (et en particulier des spécialistes) est immense, et combien leur état d'esprit, leur ouverture ou au contraire leur enfermement dans leurs dogmes leurs convictions, peuvent avoir des conséquences décisives sur la vie des patients.
Pourquoi les femmes ne pourraient pas choisir en toute liberté leur contraception (c'est-à-dire en connaissance de cause de TOUS les avantages et inconvénients, pas avec des arguments du style : "le stérilet, pas pour les femmes qui n'ont pas eu encore d'enfants", scientifiquement aberrant) ? ou la façon dont elles souhaitent être examinées ? Quelques-unes des questions qui se posent non sans indignation, quand on lit les témoignages des femmes qui égrainent le récit : autant le dire, mes ovaires se sont révoltés plus d'une fois.
Martin Winckler, médecin, a visiblement mis énormément de lui dans l'écriture de ce roman (Franz Karma, évidemment, c'est un peu lui), et taille au passage des costards à tour de bras à beaucoup de ses confrères. La galerie de portraits n’est pas très reluisante pour la profession : entre les gynécologues qui engueulent les patientes d’avoir oublié leur pilule, ou les chirurgiens qui se prennent pour Dieu créateur et réparateur… « Mes obligations éthiques vont d’abord aux patientes, ensuite aux autres médecins », voilà le credo de ce praticien atypique, aux méthodes peu orthodoxes pour le corps médical. Serait-il humble, ce docteur Karma ? Pas toujours, mais on lui pardonne.
Au début, j'étais un peu heurtée par l'écriture "parlée" dont je ne suis pas fan d'habitude, mais c'est ce style qui happe le lecteur. Comme les patientes qui entrent dans le cabinet et vident leur sac, l'auteur débite l'histoire avec un sentiment d'urgence. Ce qui n'empêche pas le récit d'être très bien rythmé : le parcours de Jean dans l’unité 77 s’interrompt de révélations progressives sur sa vie personnelle. Quel but poursuit cette jeune interne brillante et au caractère bien trempée ? Elle agace car elle se comporte comme un mec. D’ailleurs pendant les cinquante premières pages, aucun doute possible, Jean Atwood est UN interne, pas de e qui se balade pour indiquer le contraire, ce qui volontairement décontenance le lecteur quand Karma lui lance un « mademoiselle ». Mais au fond qui est-elle ? L’évolution de ce personnage est un pilier du roman, au fur et à mesure qu’elle s’ouvre aux femmes qui viennent consulter, on explore aussi sa propre histoire, pleine de zones d’ombres. Jusqu’à la révélation finale, où tout se boucle.
'Le choeur des femmes" est une partition fort bien menée, en polyphonie et tambour battant, jusqu’au bout.