Il est des œuvres qui nous laissent pantelants quand s'achève le récit; les yeux dans le vague, à mi-chemin entre cette réalité -la notre- et cet univers dont les phrases résonnent encore. "Le choix de Sophie" est un livre dont le titre dissimule bien le trésor qui s'y cache, un livre qui happe, qui hante, et qui se doit d'être lu d'une traite, avec frénésie et empressement. Comment penser un seul instant à savourer, à goûter lentement chaque mot quand s'entrechoquent la beauté des phrases, l'horreur des événements et l'ambiguïté des personnalités décrites?
C'est avant tout une tragédie, qui traite de l'Histoire, celle dont l'humanité a honte, dont elle devra se racheter jusqu'à la fin des temps: la guerre, les camps de concentration, l'enfer de l'holocauste, la montée progressive de la folie en chaque être. Mais le récit est si dense, les points de vue si nombreux.. Alors que les personnages que nous suivons évoluent à Brooklyn dans une Amérique d'après-guerre à demie consciente de la "véritable et abominable vérité" des bulles de souvenirs ne cessent d'éclater; ce sont les réminiscences de Sophie, rescapée Polonaise.
A son passé traumatisé se superposent deux hommes, Nathan et "Stingo", le narrateur. Un triangle amoureux, éloigné des clichés romantiques et fleur bleues qu'aurait pu laisser présager le titre, naît rapidement et nous emporte dans son tumulte.
Les paroles sont vraies, crues. Il y a du beau, il y a du sale, du repoussant, de l'abject. L'homme avec justesse.
On ne saurait nier que le style n'est pas, de temps à autre, lourd, que les phrases ne sont pas alambiquées, tout aussi torturées que ceux qui les énoncent et qu'il n'arrive jamais que l'on se perde dans une même phrase; ce ne sont que des détails, tant la plume de Styron est fine, tout simplement belle.
Je ne me rappelle pas avoir été bouleversée par un livre de cette façon là depuis longtemps. Ce n'est pas faute d'avoir dévorée des ouvrages traitant de la 2nd Guerre mondiale par dizaine, affamée, entre fascination et répulsion, et toujours avec le besoin de comprendre l'incompréhensible. Styron fait plus que nous montrer, qu'énoncer, il se glisse dans l'âme de chacun, il décortique, esquisse et ébauche, sans aucune prétention. A la fois fiction, documentaire, reportage, c'est un tout d'une audace folle mais parfaitement réussie. Mon seul regret, ne pas l'avoir découvert avant.