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Décidément, la littérature levantine révèle bien des richesses, que je continue d’explorer modestement et patiemment, cette fois avec l’écrivaine libanaise Hanan El Cheikh, auteure d’une demi-douzaine d’ouvrages, dont deux recueils de nouvelles. La forme courte est, en France, un exercice finalement assez peu prisé, contrairement à la longue tradition anglo-saxonne. On ne compte plus les écrivains en herbe, qui se lancent dès leurs premiers pas dans la rédaction d’un roman…. et s’épuisent fatalement avant d’arriver au terme de leur projet, ou accouchent laborieusement d’un manuscrit qui ne trouvera jamais d’éditeur. En plus d’être fondamentalement plus pragmatiques (on ne compte plus les ateliers d’écriture aux USA), les écrivains anglo-saxons font souvent leurs gammes du côté de la nouvelle, d’une part parce que le genre bénéficie de davantage de considération, mais aussi parce que les débouchés en matière de publication sont bien plus nombreux, notamment au sein de la presse. Nombre de revues, littéraires ou non, publient régulièrement des nouvelles : Collier’s, Harper’s magazine, The new yorker ou bien encore, et c’est moins connu dans nos contrées, Playboy (je vous conseille à ce sujet, l’excellent article publié dans Slate, vous seriez surpris par le niveau très élevé des textes publiés pendant de nombreuses années dans ce magazine jusqu’à la fin des années 90).  Mais je m’éloigne du sujet initial.


Revenons donc à la littérature levantine, dont la tradition plonge ses racines dans le très riche héritage des contes arabo-musulmans, une forme finalement pas très éloignée de la nouvelle. A cet héritage vient se greffer le regard singulier d’une écrivaine, d’une femme plus précisément, pour qui aucun sujet n’est réellement tabou. Pour la petite histoire, Hanan El-Cheikh dut publier son premier roman, Histoire de Zahra, à compte d’auteur, car aucun éditeur libanais ou arabe, ne voulut prendre le risque de publier un roman au sujet aussi sulfureux. Ce qui n'empêcha pas l’auteure libanaise de remporter un franc succès, notamment en France. A travers son oeuvre, qui s’étale sur plus de quarante ans d’écriture, Hanan El-Cheikh n’hésite pas à aborder des sujets aussi clivants que la place des femmes au sein de la civilisation arabo-musulmane, le viol, l’inceste, la prostitution et de manière générale toutes les violences faites à l’encontre des femmes. En filigrane apparaît bien évidemment une critique assez vive du patriarcat et de la domination des hommes, notamment au travers du mariage, dont il faut souligner le courage. 


Ces thèmes apparaissent dans les nouvelles qui composent Le cimetière des rêves, mais il serait quelque peu réducteur de ne résumer ces textes qu’à leur contenu engagé. Au fil de la lecture d’autres sujets émergent, en particulier la difficile articulation entre Orient et Occident. Le déracinement, le choc des cultures, la perte des repères (familiaux ou culturels), la nostalgie d’un passé perdu…. Tous font écho au propre parcours personnel de l’écrivaine, qui dut quitter son Liban natal pour finalement trouver un point de chute à Londres. Le personnage de la nouvelle “Je balaie le soleil des terrasses”, une jeune femmes qui a quitté son pays pour réaliser son rêve d’Occident en Angleterre, est ainsi tiraillé entre sa fascination profonde pour le mode de vie européen et les souvenirs de sa vie passée, faits de couleurs, de saveurs et de senteurs qui s’imposent à elle avec une acuité d’autant plus douloureuse qu’ils sont un contrepoint à de nombreuses désillusions. 


Ce qui émerge de ces textes au ton doux amer et parfois sombres, c’est le courage de ces femmes face à  l’adversité et au changement. Leur grandeur dépasse l'étendue de leurs failles, qu’elles tentent de surmonter avec des stratégies diverses et souvent surprenantes. Au lecteur de suivre ces lignes de fracture, comme on glisse délicatement le doigt le long d’une anfractuosité, découvrant des nœuds, des embranchements secondaires, de nouveaux chemins sur le sentier difficile de la vie. Et à la fin, s’esquisse subtilement un tableau fait de multiples visages, ceux de ces femmes qui luttent pour trouver une place, pour préserver leur intégrité et leur liberté. 

EmmanuelLorenzi
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le 10 juin 2021

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