Mazette, c'te claque. Il y a trop longtemps que je voulais parler de ce petit monstre...
Certains jours, on se sent bien seul au moment de prendre le clavier. Comment faire honneur à un travail qui vous a stimulé de bout en bout, nourri l'intellect d'une façon inédite et, pourquoi pas, éveillé chez vous un nouvel intérêt pour le medium cinéma ? Le Cinéma X, monument d'audace et d'intelligence, fait mentir les craintes que l'on peut avoir à la lecture d'un bouquin consacré au porno. Après tout, s'il y a un genre qui n'appelle pas à la branlette intellectuelle, c'est bien celui-là.
Avant toute chose, précisons que Le Cinéma X ne fait pas oeuvre de prosélytisme. Il affirme que le X peut très bien avoir sa place dans une DVDthèque idéale mais ne pointe nullement du doigt ceux pour qui prendre du plaisir au spectacle de l'acte sexuel reste impensable. Il n'est pas en guerre avec les sensibilités. C'est aux leçons de morale qu'il tourne vaillamment le dos. Ainsi, il va au bout de sa démarche : offrir au porno un livre capable d'afficher en ses pages autant d'images explicites que de réflexions solides, afin de mêler les deux dans un tout insécable.
En préambule, Jacques Zimmer expose un point essentiel du travail effectué par lui et ses collègues : "A propos des marges, se posa la question de nos propres imites. A titre privé, qu'on le veuille ou non, chacun rencontre "son" inacceptable. On peut plastronner : notre morale nous rattrape". Les auteur l'avouent eux-mêmes en préambule, chacun a ses limites, eux y compris. Comprendre : certaines orientations sexuelles peuvent clairement repousser. Leur représentation, encore plus.
Dans un souci d'exhaustivité, Le cinéma X accomplit néanmoins l'exploit de bannir la condescendance. Aborder le X, son histoire, ses courants, ses évolutions, ses auteurs (car il y en a), est en soi un pari risqué. Comment rendre compte des problématiques artistiques, sociales et thématiques qu'il soulève sans perdre son sérieux ni retirer au genre son caractère sanguin ? Adorer ou vomir le porno, rien de plus simple. En faire une étude sincère, c'est une autre paire de manches.
La préface signée Gaspar Noé rassure immédiatement : "Quand on pense à quel point le sexe est important dans nos vies, à quel point c'est un besoin naturel chez l'être humain, on ne peut que regretter que sa représentation soit quasi exclue du cinéma dit traditionnel". Dont acte, le cinéaste ayant signé avec son expérimental Enter the Void une sorte de porno surnaturel dont la caméra se focalisait sur ce qui se passe sous la peau et entre les synapses : peur, pulsions, douleur, culpabilité, désir...
"Qu'on soit psychologue, sociologue, ou tout simplement commerçant, la principale question qui se pose à propos du spectacle X concerne son public. Ce grand invisible, qui est-ce ? La réponse est d'ordinaire péremptoire : c'est l'autre", note Gérard Lenne au chapitre "Un phénomène de société". Une observation concise et lucide de l'intimité que requiert la consommation du porno. Le X est et restera le genre le plus subversif du 7ème Art, non pas par son discours, mais par sa simple existence. Ce qu'il donne à voir trouvera toujours un adversaire.
Dans sa gourmandise, Le Cinéma X permet de découvrir des titres dont la créativité semble être le fer de lance. Parmi eux, les célèbres Cafe Flesh et Derrière la porte verte, ou le fameux Devil in Miss Jones de Gérard Damanio. Un essai singulier où, après l'effeuillage de l'héroïne, celle-ci part se suicider dans sa baignoire au lieu d'ouvrir les hostilités. Un choc qui dépasse largement les frontières du X, bien aidé par une conclusion amère et une fellation en plan-séquence où la partenaire féminine se lance dans un monologue perturbant...
Quant à la question de la négation du plaisir féminin et de la femme transformée en objet, les auteurs apportent une réponse que j'ai longtemps crue naïve après y avoir songé : le plaisir masculin ne peut être simulé, c'est peut-être pour cela qu'il est (trop) privilégié. Le regardant peut être n'importe qui, lui ou elle, hétéro, gay, jeune, vieux... Voir le plaisir d'un autre être humain, le partager par écran interposé, s'offrir un plaisir solitaire (ou pas), combattre une frustration, une solitude, une misère sexuelle... Voilà ce que le public du X vient régulièrement chercher.
Il faut ainsi garder en tête que l'industrie devient laide dès lors que ses méthodes sont douteuses, que ses acteurs et actrices ne sont pas des adultes pleinement conscients de leurs choix. En dehors de cela, pourquoi condamner ce qu'elle propose ? Il suffit de tendre une oreille vers les propos de personnalités comme Katsuni pour comprendre que le X n'est pas dégradant pour peu que l'on soit attiré par ce milieu, que l'on s'y sente à sa place et que l'on y soit traitée avec professionnalisme.
Pour l'anecdote, la toute mimi Lucie Blush a récemment remporté un prix aux FemPorn Awads, qui comme leur nom l'indique récompensent les films pensés et créés par des femmes. Du X au coeur tendre ? Pas forcément, mais la représentation d'un acte sexuel basé sur le plaisir partagé, d'où découle une tendresse naturelle et une douceur insoupçonnée, loin des jouissances simulées et de coups de reins sinon vulgaires, au moins mécaniques... Une autre façon de faire, en somme. Là encore, à chacun d'y trouver ou non satisfaction.
Jouissant (il fallait bien la placer) d'une maquette aussi puissante que ses choix colorimétriques (fond noir, blanc ou rose, et des caractères qui font le même manège), l'ouvrage est entouré d'une superbe couverture rigide qui ne ment pas sur la marchandise. Le bouquin est en effet soigné au-delà du raisonnable, donnant à ses sujets sans fin (SM, animation, censure, muet, films gays et lesbiens, etc) une force d'évocation toujours renouvelée, les plumes des auteurs rivalisant d'aisance et de vocabulaire.
Essai absolument magistral sur le porno, agrémenté de photos qui n'ont peur ni d'exciter ni de choquer leur public potentiel, bourré de documents rares et d'analyses pointues, Le Cinéma X n'est bien entendu pas fait pour tous les yeux. Mais sa pertinence hors normes, elle, adresse une sacrée leçon de choses à la concurrence, tous genres confondus. Soyons clairs : l'ouvrage n'accuse pas d'hypocrisie les réfractaires ni ne prône le X comme emblème de liberté. C'est de son érudition et de son absence de tabous que l'étude tire sa force singulière.
Aux côtés du génial Effets spéciaux, un siècle d'histoires, c'est rien moins que le meilleur bouquin de cinéma dont ma bibliothèque puisse s'enorgueillir. Une véritable incitation à l'autodafé pour les membres de l'association Promouvoir, doublé d'un pavé qui ne souhaite pas faire du X le grand martyr du siècle, simplement un sujet digne de considération. Difficile, à moins d'en achever la lecture d'une seule main, de ne pas avoir envie d'applaudir ses auteurs à tout rompre une fois tournée la dernière page.