Au départ il y Armand le narrateur, acteur antipathique imbu de lui-même et de ses préférences culturelles (Monsieur, suffisant comme pas deux, nous révèle qu’il préfère Corneille à Racine…) ; un vieux beau au parler crû qui nous expose sa sexualité : cela va de l’inconvénient de la sodomie à la technique de sa maîtresse pour rouler des patins ; en somme et sans pudeur tout le système digestif… Sans oublier sa prétention lorsqu’il se compare à un aigle au sujet de son rôle de père… Parce qu’elle n’a pas l’air bien, Armand, ce père plein d’égo, se fait quand même du souci pour sa fille Miranda. Armand se croit fort (Armand prénom germanique se traduisant par "Homme fort."). Armand pense avoir le contrôle. Mais on peut se croire aigle et pourtant ne pas en être un. Connait-on jamais les autres et a fortiori ses enfants ?
Deuxième chapitre c’est Miranda qui prend la parole. Sous la neige couve le feu. La jeune fille insipide cache une âme tourmentée qu’elle nous expose, elle aussi sans filtre.
Rebecca Lighieri n’est pas une grande styliste mais elle sait raconter une histoire. Celle-ci a beau s’appuyer sur des ressorts répétitifs (multiplication des exemples au sujet des dons de Miranda) on continue la lecture pour connaître la suite. Jusqu’où vont les tourments de Miranda ?
La suite c’est Armand qui reprend la parole dans un chapitre bouleversant (peut-être le fait d’avoir été moi-même le père d’une adolescente angoissée et de ne pas en avoir pris la mesure m’a-t-il particulièrement touché ?). Bouleversant au sens émouvant du terme mais aussi au sens où l’image déplaisante de départ d’Armand fait place à celle d’un père sensible, fragile, enfin vulnérable. Et le lecteur se retrouve comme le père de Miranda : il croyait connaitre Armand comme lui-même croyait connaître sa fille mais l’autre est bien différent de l’image qu’il s’en faisait. C’est le tour de force de Rebecca Lighieri de nous avoir baladés et manipulés ainsi. C’est même le propre de tout roman. Et « Le club des enfants perdus » est un bon roman.