Il était une fois un muet
qui rassembla tous les cœurs de la ville, écouta leurs peines, leurs espoirs, leurs colères, mais qui, comme personne n'écoutait les siennes, et qu'il avait perdu son seul ami, se suicida.
Il était une fois un patron de bar qui commença à aimer sa femme lorsqu'elle mourut, qui commença à aimer ses ivrognes lorsqu'ils dessaoulèrent, qui commença à aimer l'adolescente lorsqu'elle se mit à le détester.
Il était une fois une adolescente au destin trop haut pour elle. Elle voulait seulement, désespérément faire de la musique. Elle travailla au drugstore toute sa vie pour aider sa famille.
Il était une fois un docteur noir, qui voulait élever son peuple au-dessus de sa condition. Il échoua à guérir tous les maux de ses frères de couleur, et termina sa vie, tristement, à la charge des siens.
Il était une fois un militant communiste, qui termina comme tous les militants communistes.
Il était une fois beaucoup de lucide tristesse d'humains dans cette petite ville qui se frôlent, se parlent, se touchent, s'écoutent parfois, mais ne prennent jamais contact, et c'est cette chasse infinie de l'autre qui est incommensurablement désolante, parce que, selon Carson Mc Cullers, dont je ne cesserai jamais de m'étonner qu'elle ait pu écrire ce chef d'œuvre à 23 ans, sans la moindre expérience de la vie, mais avec un regard aigu sur celles de ses contemporains, tout amour est vain, le sens de la vie est chimérique, on se lève, on gagne de quoi manger, on se couche, on se reproduit, on meurt.
Solitaires.