Peut-être le chef-d’œuvre le plus mal écrit de la littérature française
Vers quinze ans j’ai découvert le Comte de Monte-Cristo. C’était mon premier Dumas. Et quelle révélation ! J’ai dévoré les aventures d’Edmond Dantès avec un appétit de passionné.
Plus récemment, l’envie m’a pris de relire cette œuvre culte, et sans renier mes gouts de l’époque de mes quinze ans, je suis resté perplexe face au style d’Alexandre Dumas. Que de redondances ! que de lourdeurs ! Franchement, on retrouve parfois le même adjectif dans deux phrases l’une à la suite de l’autre, et puis il y a des digressions à n’en plus finir et des répétitions contraignantes, notamment lorsque le héros va expliquer ses projets de vengeance à plusieurs personnes, et son discours se répète pratiquement mot pour mot.
Citons Umberto pour appuyer tout ça : les personnages de Dumas frémissent, ou pâlissent, ou essuient de grosses gouttes de sueur, ou balbutient d’une voix qui n’a plus rien d’humain, ou se lèvent brusquement d’une chaise pour y retomber aussitôt et l’auteur s’empresse de nous répéter qu’il s’agit bien de la chaise sur laquelle ils étaient assis une seconde auparavant.
Bien sûr, cette « stratégie d’écriture » trouve son explication quelque part (ou plutôt sa cause) : le Comte de Monte-Cristo est un roman feuilleton, c’est-à-dire un roman qui paraissait au jour le jour dans les journaux afin de fidéliser les lecteurs du journal. Donc il fallait tenir ceux-ci en haleine le plus longtemps possible, histoire de vendre un maximum de journaux sur la longueur. Et qui plus est, Dumas était payé à la ligne, alors peu importe si les répétitions alourdissent le texte à partir du moment où elles lui remplissaient les poches sans se fatiguer !
Maintenant subsiste une interrogation : dans quelle mesure cette esthétique de la lourdeur et de la répétition amoche-t-elle le chef d’œuvre de Dumas ? Eh bien je crois au contraire qu’elle contribue à le rendre aussi remarquable. Le Comte de Monte-Cristo est un roman populaire, c’est-à-dire une œuvre prévisible et qui exploite à fond le bon vieux principe d’identification du lecteur au personnage principal. Et ça marche ! Le lecteur, même averti, se laisse emporter par le tourbillon d’aventures qui arrivent au héros, il retient son souffle par moments, se réjouit à d’autres, et brûle sans cesse d’impatience de connaître la fin, même s’il sait qu’il a encore des centaines de pages devant lui avant d’y arriver.
En revanche, le lecteur mordrait-il autant à l’hameçon si Alexandre Dumas avait écrit les aventures de son héros au plus court ? S’il avait travaillé dans le sens de l’économie des moyens plutôt que dans l’abondance de détails, nous aurait-il tenu en haleine de la même manière ? Permettez-moi d’en douter !