Véritable étoile filante dans l'univers de la radio-libre, Gérard de Suresnes est une anomalie comme on en avait jamais vu avant et qu'on ne reverra jamais après. Tant mieux. Tant pis. Si l'opinion n'est pas tranchée, ce n'est pas juste une précaution de langage. Avec les années, n'importe quel auditeur ou observateur de l'épiphénomène Débats de Gérard (sorte de Dîner de cons radiophonique) aura compris qu'il dépasse aujourd'hui son protagoniste principal. Le journaliste indépendant Thibault Raisse livre aujourd'hui dans le même mouvement l'œuvre unique et définitive sur le sujet en repartant aux sources, Gérard.

Un anti-héros de faits divers, voilà ce qu'était Gérard sur le papier. Plus précisément, un SDF accidenté par la vie et peu cultivé découvert par l'animateur noctambule Max sur Fun Radio. Expert dans l'art de dégoter les "bons clients", le créateur du "Star-System" promeut cet étrange personnage "animateur" d'une émission dont le but réel était de le tourner en ridicule - son manque d'éducation ou ses travers - jusqu'à explosion dont la déflagration se mesurait en insultes, jets d'objets en tout genre et courses-poursuites dans les locaux de la radio. On s'en doute, avec un tel concept difficile de faire autre chose qu'une carrière éclair, stoppée nette à la suite d'un énième dérapage. "Allez hop, terminé !", comme aurait dit Gégé. Mais en fait non. Une génération entière d'adolescents s'était gondolée à écouter ce Schpountz sans filtre et sans limites où absurdités et gueulantes pleuvaient en cascade. Quelques années plus tard, ils sont devenus une génération d'adultes décidés à préserver le souvenir de Gérard. Il y a une part de mauvaise conscience là-dedans, indéniablement. Pas tant d'avoir écouté l'émission - dernier vestige d'une radio-libre en passe de rentrer dans le rang - que d'avoir négligé son animateur. Ce Gérard dont nous nous sommes moqués sans nous départir d'une authentique tendresse à son égard. Chacun a ajouté sa pièce pour reconstituer la fresque de "l'émission la plus trash de la bande FM" (pour une fois, la formule est pleinement justifiée). Manquait pourtant un morceau, de taille, l'éléphant au milieu de la pièce : Gérard lui-même. La tâche revenait donc à un fan d'aller le retrouver. C'est chose faite grâce au journaliste Thibault Raisse, qui lève le voile sur cet "autre côté" dont nous étions inconscient au moins en partie.

Les entretiens et les recherches minutieuses fournissent énormément d'informations jusque-là inconnues du tous (comme quoi, Internet a bel et bien ses limites). Pour les initiés comme les non-initiés, la lecture est aisée. Malgré la quantité de personnes et de moments à traiter, Raisse confère une profondeur insoupçonnée à ce qui aurait pu être réduit à une note de bas de page. En moins de 300 pages, le destin d'un seul homme pas ordinaire épouse la trajectoire d'une radio muselée jusqu'à hanter la carrière de Max, dont les tentatives de comebacks radiophoniques se sont invariablement soldées par des échecs. Sans parler de ses auditeurs évidemment, qui sauvegardent les archives Gégéphile sur les réseaux, à coups de sites, blogs, pages et groupes. Agrémenté de quelques pistes de réflexion bien vues, le livre est une mine d'or, pas tant pour sa description des Débats, qui seront périphériques, que pour ce qu'il y a eu avant, pendant et après. On rentre dans l'intimité de l'animateur malgré lui, son enfance difficile, sa psyché fracturée et sa vie de famille instable. Le nombre foisonnant d'anecdotes et d'évènements dresse un portrait complexe, jamais dans la victimisation ni dans la glorification, à distance idéale pour exposer un personnage tour à tour risible, bouleversant et ingérable. Par un curieux effet miroir, Le Con de minuit invite également son lecteur à regarder l'entourage de Gérard pendant sa période Fun Radio avec un esprit ouvert, tant les attitudes se parent de maintes nuances. Il en sera de même pour les fans, dont le plaisir à réécouter les émissions moralement douteuses n'est égalé que par l'acharnement à protéger l'héritage de Gérard (une forme de repentance, en soi). La dernière partie est à ce titre fascinante de complétude. Comme si cette recherche (consciente ou non) de réparation trouvait son émouvant catharsis dans une réunion avec les deux plus belles choses qu'a laissé Gérard derrière lui sur le plan intime et collectif, sa famille et sa communauté de fans. Impeccab' comme fin.

ConFuCkamuS
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le 7 sept. 2024

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