On se souvient de l’adaptation quelque peu décriée d’Ari Folman du livre de Stanislas Lem, Le Congrès. Sur une très belle musique de Max Richter, Ari Folman transposait le roman de science-fiction dans l’univers de cinéma. La partie filmée, avec Robin Wright et Harvey Keitel, n’est pas présente dans le livre ; tandis que la partie en animation reprend l’univers foutraque du Congrès de futurologie.
Foutraque, c’est le moins que l’on puisse dire, et pour autant extrêmement jubilatoire. La planète n’en peut plus : crise politique, crise démographique, crise écologique, etc. Les futurologues, dont l’activité consiste à prédire le futur, se réunissent au Hilton de Costaricana. Mais les actions de groupes terroristes viennent perturber le séminaire : Ijon Tichy, personnage principal, se réunit avec ses collègues dans les égouts de l’hôtel, alors que des tonnes de psychotropes sont déversées, provoquant des crises hallucinatoires.
Le roman est découpé en deux : d’une part le récit du congrès et de son attaque, d’autre part le réveil d’Ijon Tichy dans un monde qu’il ne connaît pas, une quarantaine d’années après le soulèvement au Hilton. La première partie se révèle diablement foutraque et inventive : les personnages courent dans tous les sens, les attaques terroristes rythment les interventions des futurologues, une contamination de l’eau potable provoque des hallucinations. La deuxième partie, non moins intéressante, se révèle moins romanesque et d’autant plus philosophique : dans un monde inconnu, comment ne pas douter des choses qui m’entourent ? Sans divulgâcher, disons que Stanislas Lem, dont on a célébré le centenaire en 2021, convoque habilement Descartes en questionnant l’usage des psychotropes.
Enfin saluons le travail de Dominique Sila et Anna Labedzka qui ont dû s’arracher les cheveux sur la traduction. En effet, qui dit nouveau monde dit nouveau vocabulaire. Et l’auteur polonais d’inventer toute une série de mots inventée par la pronostique linguistique (« La futurologie linguistique explore l’avenir d’après les potentialités évolutives du langage »). Prévistoire, stratiline, serdinateurs, réjuvénal, flegmatine… Un régal !
« En effet, il suffit de se rendre à la banque, de signer un reçu, et la caisse (on dit aujourd’hui la prenderie) paie la somme voulue. Ce n’est pas un prêt ; recevoir cet argent n’engage à rien du point de vue juridique. Mais il y a un hic. L’obligation de restituer cette somme est de nature morale. Le remboursement peut même s’étaler sur plusieurs années. Je lui ai demandé comment les banques s’y prenaient pour échapper à la faillite qui les menaçait en raison de l’insolvabilité de tous ces débiteurs. Il a eu de nouveau l’air étonné. J’avais oublié que nous vivions à l’ère psychimique. Les lettres courtoises d’appel et de relance sont imbibées d’une substance volatile qui provoque l’apparition des remords et le désir de travailler. C’est ainsi que la prenderie peut rentrer dans ses frais. »