Ce roman est un témoignage d’une écriture sobre et fluide sur le début, le milieu et la fin d’une relation amoureuse « consentante » entre une jeune fille sans père de 13 ans et le « grand » écrivain Gabriel Matzneff. Ce roman fait beaucoup parler de lui depuis sa sortie, et ce, à juste titre.
A la lecture, son auteure se révèle très pondérée dans son portrait de Gabriel Matzneff. Elle se montre par exemple bien plus sévère à l’encontre de son père, figure d’autorité brillant par son absence et jusqu’au bout décevante. L’auteure témoigne juste de son histoire personnelle et participe par la même à l’appréhension de la notion de consentement. Les professionnels de la Justice (policiers, avocats, juges etc.) confrontés régulièrement à ce type de problématiques dans leurs dossiers, devraient lire ce livre pour se sensibiliser au fait que même si la jeune fille semble consentante et souriante, elle n’en reste pas moins mineure et dénuée de consentement éclairé.
Vanessa Springora n’est pas particulièrement revancharde. Même si on ressent de la colère dans sa plume lors du passage relatif au harcèlement par mail que subit la patronne de l’auteure en 2013. Le passage avec le philosophe Emil Cioran est ubuesque. Celui de sa rencontre fortuite avec son ancienne rivale particulièrement émouvant. Enfin pouvoir parler avec une personne susceptible de vraiment la comprendre…
Ce livre est la preuve des dérives provoquées par l’idéologie de mai 68, que cela soit bien entendu les justifications que se donne Matzneff ou que cela soit l’incroyable complaisance de tout le milieu littéraire et éditorial parisien dans lequel grandit Vanessa Springora. Mais surtout ce qui frappe c’est la réaction de la mère de Vanessa Springora lorsque cette dernière lui demande des comptes, à 15 ans, après avoir enfin réussi à mettre fin à cette relation plus ou moins abusive. Le slogan « il est interdit d’interdire » prend tout son sens.
Ce livre est salutaire. Il montre que l’époque a changé. Désormais la parole de la victime se libère. Et c’est tout à fait dans l’ordre des choses. C’est aussi pour ça que l’on peut difficilement comprendre que des personnes qui critiquent l’idéologie soixante-huitarde puissent défendre Matzneff face à sa victime. Car il faut bien différencier le livre écrit par une quarantenaire bien dans sa peau et dans sa vie, pour se libérer de son passé et pouvoir définitivement tourner la page avec la réception de ce même livre.
Bien entendu que la censure n’est pas une bonne chose. Bien évidemment que la réaction de l’éditeur de Matneff en arrêtant la commercialisation de ses écrits est hypocrite, tout comme celle des libraires qui cessent de les vendre. Bien sur qu’on ne peut que lever les yeux au ciel en voyant les réactions de vierge effarouchée de tout un milieu culturo-mondain qui tente de se racheter une image. Mais cela ne veut pas dire que le livre de Vanessa Springora en soit moins utile.
Ce qui est dérangeant avec la censure des livres des Matzneff, c’est surtout que cela va lui donner une aura de martyr, une aura d’écrivain maudit, qu’il ne mérite pas. La censure et la vendetta ne sont pas les meilleures choses qui pouvaient arriver après la sortie de ce témoignage.
Néanmoins, on ne peut que constater que Gabriel Matzneff est un pédophile assumé, absolument pas repentant de ses actes, qu’il sait très bien contraire à la loi, un pédophile qui se vante dans ses écrits de faire du tourisme sexuel en violant des petits garçons à Manille, un pédophile qui reconnait avoir recours de temps en temps à un certain « réseau », un pédophile qui choisit ses minettes systématiquement dans des familles éclatées ou tout bonnement des jeunes filles éloignées de leurs proches, un pédophile qui se doutait dans le fond très bien que sa relation avec Vanessa Springora était biaisée - car sinon pourquoi lui aurait il interdit de lire ses journaux, écrits où sont décrits ses nombreuses conquêtes et ses voyages à Manille - un pédophile qui a fait de ses déviances un fond de commerce, bref un pédophile qui mérite amplement ce qui est en train de lui tomber sur la figure, car comme le dit le dicton, qui sème le vent récolte la tempête.
Marie Leroy.