Il est difficile de parler du récit de Vanessa Springora plusieurs mois après sa sortie, tant il semble que tout a été dit à son sujet.
Evidemment, ce livre est bouleversant dans son sujet.
Et révoltant en fait.
Bouleversant parce qu’il expose sans apitoiement, mais sans fard, et avec une précision chirurgicale, les mécanismes d’emprise qui peuvent pousser certains enfants à concéder des faveurs sexuelles à des adultes.
Comment appréhender la notion de consentement, nous interroge l’auteure ?
Quelle peut être la valeur du consentement arraché à une enfant de 13 ans par un homme de 50 ?
Comment peut-on parler de gestes consentis lorsqu’ils ne sont que l’issue d’une mécanique d'isolement bien rodée par leur auteur, comme le piège d’un chasseur ?
La question n’est pas simple, elle bouscule, comme elle a bousculé l’auteure qui aura mis des années à accepter l’idée qu’elle a été victime d’un homme, alors même que les séquelles de cette relation la poursuivent encore aujourd’hui.
Parce que ces séquelles existent, elles sont terrifiantes et elles nous rappellent que non, les enfants ne sont pas des adultes miniatures.
Révoltant ensuite, le récit l’est parce qu’il met au jour un véritable système non seulement d’impunité, mais encore de soutien, et presque de promotion de ces comportements de prédation au motif que l’art serait supérieur à l’homme.
Et puis quoi ? Faudrait-il s’estimer heureuse d’être violée par un artiste plutôt que par un boucher ou un notaire ?
Quelle est la place des intellectuels, ces pseudos libertaires qui dans les années 70 signaient des pétitions pour la libéralisation des relations entre adultes et mineurs de moins de 15 ans, dans la persistance d’une société dans laquelle les violences sexuelles sont communément admises comme l’expression d’une forme de liberté des uns au prix de la vie des autres ?
Le récit interroge encore évidemment sur les inégalités de classe dans le traitement des violences sexuelles.
Comment expliquer sinon que l’ont fasse preuve d’autant de complaisance à l’égard de ceux qui, prétendument, servent un intérêt supérieur (l’art, vraiment ?)
« En dehors des artistes, il n’y a guère que chez les prêtres qu’on a assisté à une telle impunité. La littérature excuse-t-elle tout ? »
Notons que les curés eux, auront reçu moins de soutiens prestigieux lorsque la parole a commencé à se libérer.
Le récit de Vanessa Springora, outre l’intérêt qu’il présente au regard des évolutions sociétales actuelles, est éminemment passionnant sur le fond, que l’on ait, ou non, une opinion arrêtée sur les questions qu’il soulève.
Enfin aux esprits chagrins qui penseraient pouvoir discréditer l’ouvrage sur sa forme, sachez qu’il est on ne peut plus légitime à être publié.
La construction du récit, particulièrement, est implacable, d’une précision millimétrée, servie en outre par une écriture toute en sobriété qui n’a certes pas à rougir face à la grosse majorité des sorties « essais » contemporaines.
C’est un récit indispensable, profondément empathique, qui confirme la puissance du témoignage écrit en ce qu’il permet de prendre le temps : à l’auteur d’expliquer, et au lecteur de comprendre, chacun à son propre rythme, mais dans un même mouvement.