Je comprends totalement que ce livre ait été nécessaire pour Vanessa Springora, qu’il fallait l’écrire pour exprimer son point de vue, raconter ce qu’elle a vécu avec Matzneff et faire enfin contre-poids au personnage médiatique. Peser contre sa reconnaissance littéraire, peser contre la complaisance dont il a toujours bénéficié. Et si au passage, ça permet de réinterroger certaines notions comme la majorité sexuelle, le consentement, et l’immunité littéraire, même de façon rapide, c’est tant mieux.
Mais de 1 : pour mener cette vengeance, y avait-il besoin de balancer des noms au risque de créer une liste noire ? On sait aujourd’hui l’inquisition morale qui peut s’élever pour de simples accointances. Donc quand Springora balance des noms, comme celui de Cioran, pour simplement rappeler qu’il était ami et défenseur de Matzneff, quel est son but ? Sinon entacher inutilement le nom de Cioran, réduire l’homme à son amitié pour Matzneff. J’ai la désagréable impression que Springora ne cherche pas seulement à répondre à Matzneff, mais à pointer du doigt toute une époque et tout un ensemble de gens – y compris sa mère - afin d’en faire les responsables, se délestant alors de sa propre responsabilité. C’est un geste si facile et qui peut être si néfaste pour des gens qui ne le méritent pas, qu’il m’est impossible de ne pas le trouver gratuit.
De 2 : c’est pas parce que l’écriture est cathartique, que ça en fait de la bonne littérature. Mais ça évidemment, c’est subjectif. Pour moi c’est un petit livre. Un livre personnel, un exutoire, une affaire à régler, qui devient objet médiatique mais jamais objet littéraire. Aujourd’hui, on peut donc utiliser la littérature pour mener sa vengeance. À vrai dire je ne suis même pas contre. Après tout, le roman ou l’essai sont des moyens d’expression libre, et peuvent servir de ring. Certains polémistes en font leur spécialité. Mais ça présente un intérêt seulement si ça aboutit à des considérations plus hautes, plus universelles, ou à des textes stylistiquement novateurs. Chez Springora, ce n’est pas le cas. Pourquoi choisir le roman, alors qu’un article aurait suffi, ou un billet de blog ?
Springora répond : parce que le roman permet d’affronter Matzneff sur son propre terrain, de l’enfermer dans un livre, de jouer selon ses règles.
Ok, très bien. C’est son droit, et ça confirme ce que je pense : Springora se fout d’écrire un grand livre, elle se contente de fomenter la vengeance la plus efficace possible, et générer la polémique qui enterrera Matzneff.
Maintenant pour juger de son talent littéraire, attendons son prochain livre.