Quand on classe Le Contrat dans la carrière de son auteur Donald Westlake, on va évidemment le ranger aux côtés d'un Couperet. Choix judicieux attendu que les deux romans font parti des tentatives les plus noires de l'écrivain. Pourtant, le point de départ de cette publication fait également écho à l'un des "one-shots" les plus drôles imaginés par Westlake, à savoir Adios Shéhérazade. Dans les deux travaux, les personnages sont romanciers et ils font face aux grands problèmes liés à la profession : panne d'inspiration et difficulté pour être édité. Sauf que cette-fois ci, le meurtre s'invite dans la partie...
Une fois n'est pas coutume, la prose et l'ironie de Westlake sont un cadeau du ciel. L'intrigue se déroule de manière implacable, resserrant l'étau autour de Bryce et Wayne alors qu'un jeu de vases communicants se met en place et paradoxalement menace de détraquer l'alliance entre les deux hommes. Passant méthodiquement de l'un à l'autre, la narration fait montre de la même excellence quand il faut infiltrer la psyché de ses anti-héros, en disséminant par-ci par-là les graines d'un drame qui ne fera que croître. Au passage, Le Contrat lève le voile sur certaines pratiques implicites au milieu de l'édition. La politique du rendement vouant certaines plumes à l'ombre, des auteurs privilégiés jouent les prête-noms en s'appropriant les créations de leurs collègues moins chanceux.
C'est l'aspect qui intéresse Westlake, le cœur du livre se déplaçant du thriller classique vers une étude de caractère sinueuse. Jusqu'où la réussite par procuration peut convenir avant d'arriver au point de rupture ? En parallèle, on en revient à cette angoisse non plus de la page blanche mais d'une incapacité à se projeter dans une situation. Quand l'imagination arrive à son point limite, comment lutter contre la frustration d'avoir provoqué un évènement sans l'avoir vécu ou ressenti ? Derrière cela, on ne parle de rien d'autre que d'orgueil et de curiosité morbide.
Deux axes fascinants qui se répondent d'un point de vue à un autre, à tel point que la menace principale (vont-ils se faire pincer?) devient presque secondaire. Personnellement, j'estime que le livre traine légèrement en longueur sur sa dernière partie. Ce qui est étonnant car Westlake soigne énormément les 200 premières pages, en hésitant pas à surprendre et à faire grimper la tension ou l'inconfort sur nombre de chapitres. En lecteur prudent, on avait déjà suffisamment pour redouter l'issue justement parce qu'on ne peut être sûr de ce qui va faire déraper les choses : un aveu, une crainte ou une tierce personne ? Difficile de ne pas ressortir un chouïa frustré, et ce en dépit d'un épilogue en forme d'uppercut à l'estomac.
Dans tous les cas, Le Contrat rappelle que le noir va très bien à Donald Westlake, définitivement un auteur majeur à glisser parmi les plus grands.