Premier roman d'une jeune autrice toulousaine, à vrai dire plutôt réussi. J'ai tendance à penser que la Servante écarlate a constitué une source d'inspiration majeure pour l'écriture de ce bouquin. Car la tonalité en est très proche, du moins en ce qui concerne les deux premiers tiers de l'ouvrage : avec des descriptions tristes de vies monocordes qui suintent l'ennui et l'artificiel. L'abrutissement que rien ne vient distraire, dans une mélancolie que rien ne vient égayer, avec un angle de vue très intimiste. Et c'est bien entendu également une dystopie.
Mais là où le propos est différent, c'est que le sujet n'est pas le même. Atwood décrivait un monde de domination masculine et miné par les guerres civiles entre fanatiques religieux. Ici, il est question d'un monde dans lequel le pouvoir politique a disparu, remplacé par le pouvoir économique et social de conglomérats d'entreprises qui se sont partagés le monde. Les gens habitent dans des villes-entreprises, avec lesquelles ils signent un contrat dès leur naissance et pour lesquelles ils travaillent sitôt leur formation terminée. Le marché libre est le dogme sur lequel est fondée cette société (mondiale) et Adam Smith y est considéré comme un demi-dieu.
On va donc trouver dans ce bouquin une critique virulente du monde du travail, qui reprend en les poussant à l'extrême, certaines pratiques déjà en vigueur. Par exemple, le fait de renommer les DRH en managers du bonheur (happiness manager, oui, oui ça existe vraiment), le reporting et les indicateurs à tous les niveaux, le fichage des salariés, les grand-messes, les employés poussés à se dépasser et qui évacuent leurs frustrations en allant courir, etc. A cet égard, j'ai trouvé le bouquin bien documenté. Et dans le monde du contrat sans fin, il n'y a guère d'échappatoire si ce n'est que d'être mis au ban de la société...Alors qu'il en reste tout de même quelques unes dans nos sociétés, mais si le chemin est de plus en plus étroit.
Le bouquin, assez épais, pourrait devenir un peu ennuyeux au bout d'un certain temps. Mais la narration, qui fait parfois intervenir d'autres narrateurs que Driss (le personnage principal), et le fait que cela s'anime sur la fin permettent d'éviter cet écueil. Le scénario est bien fichu et ménage quelques rebondissements bien sentis et une fin haletante et non dépourvue d'émotion. Non plus que d'espoir, ce qui évite de refermer le livre avec le moral dans les chaussettes. A lire comme un bon complément du droit à la paresse.